Sergueï Pougatchev, l’oligarque qui réclame 12 milliards à Poutine.

ENQUÊTE – Le milliardaire russe fut le patron de chantiers navals, de mines et d’Hédiard. Tombé en disgrâce, poursuivi par la justice russe mais aussi britannique, il s’estime exproprié. Rencontre avec un ex-conseiller du «tsar» qui réclame réparation, devant un tribunal, à Paris.

Longtemps il fut surnommé le «banquier de Poutine». Aujourd’hui, le banquier se retourne vers son «client». Et ne lui réclame rien de moins que 12 milliards de dollars. Une somme colossale exigée de la Fédération de Russie, donc à Vladimir Poutine, puisque selon le quémandeur, «l’État, c’est Poutine». L’homme qui ose ainsi défier le tout-puissant président russe est Sergueï Pougatchev, oligarque déchu, qui a obtenu la nationalité française de longue date. C’est à ce titre que la prochaine manche du bras de fer qu’il a entamé pour récupérer la valeur des biens, dont il estime avoir été exproprié, se joue ce mardi 12 novembre, à Paris.

Dans la galerie encombrée des oligarques russes, se bousculent ceux qui restent en cour, les disgraciés et les plus ou moins mystérieusement disparus. Sergueï Viktorovitch Pougatchev, c’est celui qui fut propriétaire de l’épicerie de luxe Hédiard et – via son fils Alexandre – du quotidien France Soir. Ce mardi et les trois jours suivants, il assistera donc à une audience du tribunal arbitral international de La Haye. Quatre jours de confrontations organisés non pas aux Pays-Bas mais à Paris. «Pour garantir la sécurité d’un citoyen français», affirme Sergueï Pougatchev.

L’ex-banquier, atterri de Nice où il réside, a donné rendez-vous au Figaro dans le salon cosy d’un hôtel de luxe parisien. La silhouette est haute, la tenue décontractée, veste de cuir, pull sombre, jeans. Il porte la barbe et la moustache plus rases que dans les années 2000 où son visage évoquait immanquablement le tsar Nicolas II. Il arrive suivi de son garde du corps, oreillette apparente, qui s’assoit à quelques mètres. «J’ai reçu des menaces de mort», depuis des années, justifie Sergueï Pougatchev.

En 2015, à Londres où il réside alors avec Alexandra Tolstoï, la mère de ses trois plus jeunes enfants, des boîtiers sont découverts sous sa voiture. Explosifs, comme il le pense, ou balises de localisation? Scotland Yard puis la justice française sont saisis. Pougatchev attend toujours le résultat de l’enquête. «Mes avocats, ici, ont découvert qu’ils étaient suivis, pour moi, ce n’est pas une nouveauté», dit-il sur un ton presque badin.

Intimidations appuyées? Volonté réelle de le supprimer? Pour qui contrarie le Kremlin, toutes les hypothèses sont permises. Comment l’ancien propriétaire d’Hédiard s’est-il retrouvé dans cette situation peu confortable? Il raconte, d’un débit rapide. Sergueï Viktorovitch, 56 ans et déjà plusieurs vies, comprend le français, parle anglais, mais pour plaider sa cause avec volubilité, préfère la langue de Pouchkine. «J’étais proche du patriarche Alexis», chef de l’Église orthodoxe russe de 1990 à son décès en 2008, «qui connaissait mon père», commence-t-il. «C’est grâce à Alexis que je suis devenu conseiller de Boris Eltsine.» Pas encore trentenaire, Pougatchev a fondé «la première banque privée» sur les décombres de l’URSS, l’IIB alias Mejprombank. Le financier réfute avoir été le banquier du patriarcat, et encore plus d’avoir blanchi son argent, «une histoire, fausse», selon lui, qui a prospéré.

Parvenu dans «la Famille», le premier cercle du président Eltsine, il habite une datcha, l’une de ces vastes villas construites en banlieue de Moscou pour la nomenklatura soviétique. À Gorki, le voisin du jeune banquier conseiller du prince est le nouveau patron du FSB, un certain Vladimir Poutine. Les deux hommes se fréquentent. Pour qui douterait de sa proximité avec «Volodia», Pougatchev a affiché sur son site internet des photos d’une fête d’anniversaire et d’une partie de billard sur la table de la datcha de Brejnev. On y voit ses deux aînés, nés de son mariage avec Galina, alors adolescents, en compagnie de Macha et Katia, les deux filles Poutine – sujet quasiment tabou en Russie.

Il a beau être de dix ans le cadet de Vladimir Poutine, Sergueï Pougatchev revendique le rôle de faiseur de roi. Il assure avoir glissé au clan Eltsine le nom du patron du FSB comme premier ministre et successeur du président chancelant. Il le dépeint, au rebours des clichés, en personnage plutôt faible, «qui ne sait pas dire non», et donnerait raison au clan le plus fort du moment. Une description contradictoire avec le fait qu’«aujourd’hui, tous les hiérarques, les gouverneurs, les ex-du KGB ont été nommés par Poutine ; moi, je ne lui devais rien».

Les souvenirs se bousculent dans la bouche de l’homme d’affaires, au point qu’on peine à retracer la chronologie de tel ou tel tête-à-tête avec Poutine. Il situe l’un de ces échanges décisifs en 2009, dans la datcha présidentielle de Novo-Ogariovo, «jusqu’à 3 heures du matin». «Il ne se rendait pas compte que la situation du pays avait changé, il me répondait que le peuple a besoin d’un tsar.» Ce jour-là, l’oligarque signifie au tsar qu’il veut quitter le pays pour s’installer en France où il possède, entre autres, Hédiard depuis 2007. En Russie, il estime que son empire financier et industriel pèse 15 milliards de dollars et 300.000 employés. «Je comprends que Poutine ne veut pas que mes actifs tombent en de mauvaises mains.» Selon lui, de nombreux documents analysés par ses bataillons d’avocats russes, britanniques, américains et français attestent qu’à ce moment, l’État est disposé à lui racheter ses affaires. «Le morceau de choix, ce sont mes chantiers navals de Saint-Pétersbourg, avec leur carnet de commandes de 60 milliards de dollars.» Ceux-là mêmes qui devaient construire les navires militaires Mistral achetés à la France, avant que François Hollande n’annule le contrat pour sanctionner l’annexion de la Crimée. À partir de là, raconte Pougatchev, l’entourage de Poutine, «la meute», veut rafler ses biens.

Les ennuis s’enchaînent. La Mejprombank fait faillite. La justice russe estime que Pougatchev en est comptable et doit restituer environ un milliard de dollars. «Cela faisait neuf ans que je n’avais plus rien à voir avec la banque», jure l’oligarque, pointant «une histoire montée de toutes pièces». Sauf que la banque qu’il a fondée, dont la licence est retirée en 2010, finançait ses autres entreprises, comme il le détaille dans un courrier de 2014 à Vladimir Poutine. À la télé, Poutine le menace, lui enjoint de «rendre tout ce qu’il a pris», raconte l’ex-conseiller du prince. «Cette émission a été un choc pour moi, le début de l’expropriation agressive.» Outre les chantiers navals, seront gelés ses actifs dans la plus grande mine de coke du monde, qu’il avait développée en Sibérie. Pougatchev est aussi écarté d’un prestigieux projet immobilier sur la place Rouge où devait œuvrer Jean-Michel Wilmotte. La faillite d’Hédiard? Le Kremlin aussi, selon lui, qui l’a privé de liquidités.

Moscou est parvenu à faire geler ses avoirs par la justice britannique. Pour ne pas avoir exécuté les sentences des tribunaux de Londres et avoir quitté le Royaume-Uni, Sergueï Pougatchev a été condamné pour outrage à la justice et encourt jusqu’à deux ans de prison outre-Manche.

La justice française, dans une décision de février 2019 du tribunal de grande instance de Nice, a en revanche empêché la saisie de ses biens en France, par le liquidateur public de la Mejprombank, la DIA. C’est ainsi que l’homme d’affaires garde la jouissance de son château de Gairaut, une demeure construite en 1904 sur les hauteurs de Nice avec vue imprenable sur la baie des Anges, gardée par des bergers malinois qui impressionnent les visiteurs.

En 2015, Pougatchev saisit le tribunal arbitral international de La Haye. Son ex-compagne, la comtesse Alexandra Tolstoï, apparentée au grand écrivain, restée à Londres, lui demande de retirer sa requête, en échange d’un droit de visite à leurs trois enfants. «La mère de mes enfants a été corrompue par les Russes, je n’ai pas vu ma cadette, de 6 ans, depuis trois ans», souffle l’ex-oligarque, le regard perçant gris vert se troublant un instant. Dans la presse britannique, Alexandra s’est plainte de ne pas toucher de pension alimentaire.

Comment, d’ailleurs, assure-t-il son train de vie sur la côte d’Azur, les avocats, la sécurité? Ce jeune grand-père – ses deux fils aînés lui ont donné six petits-enfants nés en France – est d’ordinaire discret sur ses «affaires». Il parle cette fois avec enthousiasme de OPK Biotech, start-up à Boston qui travaille sur le sang artificiel, dont il est actionnaire depuis des années.

À Paris, les trois arbitres (un Colombien nommé par le plaignant, un Espagnol désigné pour la partie russe, un Français) ont convoqué des témoins de prestige. Il y a l’ancien ministre russe des Finances Alexeï Koudrine, actuel président de la Cour des comptes. Et Viktor Zoubkov, ex-premier ministre. Leur venue serait une surprise. Les avocats – sept pour chaque partie sont inscrits sur une ordonnance du tribunal! – se refusent à tout commentaire ; qu’il s’agisse du conseil de Sergueï Pougatchev, Me Jean-Georges Betto, ou, de l’avocat de la Fédération de Russie, David Goldberg, du cabinet londonien White & Case.

L’oligarque peut-il gagner? La justice arbitrale a signé un précédent historique, en 2015, lorsque le tribunal international de La Haye a condamné la Russie à payer la somme gigantesque de 50 milliards de dollars aux actionnaires majoritaires du groupe Ioukos fondé par Mikhaïl Khodorkovski. Cette sentence a été depuis annulée et cette affaire, vieille de quinze ans, est toujours en cours. Sergueï Pougatchev estime son dossier juridiquement plus solide car il s’appuie sur un traité bilatéral, signé entre l’URSS et la France, sur la protection des investissements, du 4 juillet 1989.

L’audience de cette semaine ne sera qu’une étape dans un feuilleton judiciaire qui promet d’être long. Si Pougatchev obtient gain de cause mais que la Russie refuse de payer comme dans la procédure Ioukos, «ce sont les 160 traités bilatéraux de protection des investissements signés par la Russie qui partent en fumée», prévient le banquier déchu. Un signal désastreux pour les entreprises françaises, Total, Renault ou Auchan qui ont investi des milliards en Russie. Selon lui, Emmanuel Macron devrait se servir de son dossier comme d’une carte, un moyen de pression. Sergueï Pougatchev, l’ancien protégé du patriarche orthodoxe, garde la foi en sa cause et en la justice. Même face à son ancien voisin et ami Volodia, il lance: «C’est impossible de perdre».

Le colonel Tcherkaline incrimine dans sa déposition Valery Mirochnikov, l’ex-directeur adjoint de l’Agence de garantie des dépôts.

Le colonel Tcherkaline incrimine dans sa déposition Valery Mirochnikov, l’ex-directeur adjoint  de l’Agence de garantie des dépôts. Ce dernier est accusé d’avoir mis en place un système de protection mafieuse des banques.

Selon l’une des versions du Comité d’enquête de la Fédération de Russie, une partie des milliards retrouvés chez le colonel du FSB constituait la “part” de l’ex-dirigeant de l’Agence, réfugié à l’étranger.

Témoignage d’officier

L’ex-directeur de la Deuxième section du Département “K” du Service de sécurité économique du FSB, le colonel Kirill Tcherkaline, a dévoilé aux enquêteurs le rôle joué par le Premier adjoint du directeur de l’Agence de garantie des dépôts (“ASV” en russe), Valéry Mirochnikov, dans l’organisation de la “protection” mafieuse des banques. C’est ce que rapporte un proche des deux hommes, interrogé par Open Media. Une source proche de l’enquête confirme ces affirmations. Mirochnikov figure actuellement dans cette affaire comme témoin, mais Tcherkaline insiste que c’est bien le directeur adjoint de l’Agence qui avait mis en place tous les système de protection mafieuse (connue en Russie sous le terme de krycha, le toit – note du trad.). Par ailleurs, selon Tcherkaline, une majeure partie de la somme record de 12 milliards de roubles retrouvés chez les accusés lors des perquisitions, appartiendrait en fait à Mirochnikov. Cet argent était “déposé” chez les membres de la famille de l’officier des services spéciaux. “Il y a maintenant dans cet affaire un homme à qui on veut tout faire porter”, souligne un proche du colonel.

Oleg Chigaïev, l’ex-propriétaire de la banque Baltiysky, indique également dans sa déclaration — qui est actuellement vérifiée par le Comité d’enquête — que Mirochnikov recevait de considérables pots-de-vin. Selon lui, Mirochnikov imposait une procédure d’assainissement à la direction de la banque visée, sous menace de retrait de licence et “d’inévitables problèmes avec les forces de l’ordre”. Sur les montants alloués à l’assainissement, un milliard devait être destiné à Mirochnikov et à ses “superviseurs du FSB, au titre de l’organisation et de la facilitation dе la transaction”.

Mirochnikov avait participé dès le début à la création système d’assurance des dépôts bancaires en Russie. Il avait occupé des postes à la Banque centrale, puis à l’Agence de restructuration des établissements de crédit, dont les fonctions ont ensuite été transférées à l’Agence de garantie des dépôts en 2004. Mirochnikov a commencé au sein d’ASV comme directeur-général-adjoint, puis a été nommé Premier adjoint en 2005; il supervisait à ce moment-là tous les aspects liés à la liquidation et à l’assainissement des établissements de crédit. Les auteurs de l’enquête menée conjointement par les médias Proekt et The Bell citent, sans les nommer, des banquiers qui affirment que Tcherkaline et Mirochnikov leur avaient demandé de l’argent en contrepartie du non-retrait de leur licence bancaire et de la suspension des enquêtes pénales ouvertes contre eux pour détournement de fonds.

Pour le moment, trois personnes ont été mises en examen dans le cadre de cette affaire: Kirill Tcherkaline et deux de ses anciens collègues, Andreï Vassiliev et Dmitri Frolov. Ce-dernier avait précédé Tcherkaline à la tête de la section “bancaire” du FSB. Les trois ont été arrêtés le 25 avril 2019. Tcherkaline est accusé d’avoir fourni des services de “protection générale” à des structures commerciales contre la somme de 850 000 dollars. Les trois sont également soupçonnés d’escroquerie. Le magazine Kommersant note, par ailleurs, que Tcherkaline aurait reçu de l’argent pour la “protection” fournie au co-propriétaire de la banque Transportnyi, Aleksandr Mazanov. Il aurait également fait partie du groupement criminel accusé d’avoir détourné le produit des ventes d’immobilier résidentiel de luxe à Moscou.

Tcherkaline coopère activement avec l’enquête. Selon Rosbalt, l’officier se serait repenti et aurait demandé à conclure un accord préjudiciel. “Des entrepreneurs et des banquiers, qui se sont confrontés au tandem Frolov-Tcherkaline et à leurs complices, à un moment ou un autre, viennent aujourd’hui au FSB pour déclarer les sommes qu’ils avaient dû payer contre cette “protection” et d’autres services. La plupart de ces déclarations ne peuvent toutefois pas être instruites par manque de preuves. La déposition de Tcherkaline permettra, peut-être, de faire avancer l’enquête sur un certain nombre de ces cas, qui se trouve, pour l’instant, au point mort”, a indiqué une source au sein de l’Agence. Par ailleurs, Tcherkaline a accepté de rendre à l’Etat plus de 6 milliards de roubles qui seraient, selon son avocat, “d’origine non prévue par la loi”. L’avocat de Tcherkaline, Vladimir Mikhaïlov a refusé de faire des commentaires sur le déroulement de l’enquête.

Un partenaire en Israël

Le témoin Mirochnikov n’a pas pu être interrogé: les enquêteurs étaient intéressés par la teneur de sa correspondance avec Tcherkaline, mais il ne s’est pas présenté suite à la convocation qui lui a été adressée. L’Agence de garantie des dépôts a fait savoir le 10 juillet que Mirochnikov avait donné sa démission. Selon l’interlocuteur interrogé par Open media, qui connaissait bien l’ancien Premier adjoint, cela faisait déjà plus de deux mois que personne ne l’avait vu à son bureau. Aussitôt après l’arrestation de Tcherkaline et des autres figurants de l’affaire, Mirochnikov avait quitté la pays.  D’ailleurs le colonel du FSB ne parle désormais de l’ex-dirigeant de l’Agence qu’au passé, souligne une ancienne connaissance: “Dans toutes ses dépositions Tcherkaline parle de Mirochnikov comme si ce dernier n’était déjà plus de ce monde”.

Après l’arrestation de Tcherkaline, selon l’une des sources interrogées par les auteurs de l’enquête menée par les médias Proekt et The Bell, Mirochnikov serait d’abord parti en vacances avec sa famille en Australie, puis serait allé en Allemagne. Les enquêteurs pensent qu’ils pourrait actuellement se trouver en Israël, affirme un interlocuteur de Open media proche du Comité d’enquête. Selon lui, Mirochnikov aurait sans doute rejoint son associé en affaires et ancien collègue de l’Agence, Alexandre Dounaïev. Dounaïev a été précédemment cité par l’ex-propriétaire de Mezhprombank, Sergueï Pougatchev: l’ancien sénateur accuse en effet Mirochnikov d’une tentative d’extorsion de 350 millions de dollars, sous menace de représailles physiques et de poursuites pénales. Ces menaces auraient été transmises à Pougatchev en juin 2011 par Dounaïev.

Dounaïev est également mentionné comme “consultant recruté par ASV” dans le témoignage d’Oksana Reinhardt, directrice exécutive pour les marchés émergeants de la société financière japonaise Nomura. En 2012 Reinhardt a fourni un témoignage écrit dans le cadre de l’affaire Pougatchev et en prévision d’un éventuel procès d’arbitrage (par la suite Pougatchev a en effet déposé plainte contre la Fédération de Russie à la Cour permanente d’arbitrage de La Haye). Open media dispose d’une copie des pièces mentionnées, dont l’authenticité a été confirmée par une source proche de l’enquête.

Etant donné que Nomura était un créancier de Mezhprombank, Reinhardt avait essayé de s’informer auprès de Mirochnikov sur les moyens pour la société japonaise de recouvrer sa créance. Elle affirme que lors du premier entretien le directeur adjoint de l’Agence aurait déclaré qu’il avait l’habitude de “faire pression sur les oligarques ayant quitté la Russie”. Lors du second entretien Dounaïev était également présent, et a déclaré que la question des dettes contractées par les sociétés de Sergueï Pougatchev serait résolue grâce à la vente des chantiers navals Sévernaya. Dounaïev aurait ajouté que seuls les créanciers seraient payés à l’issue de la vente, et que Pougatchev ne pourrait prétendre à aucune part. C’est ce qui s’est passé: en été 2012 les chantiers ont été vendus aux enchères, à un prix huit fois inférieur à celui escompté par Pougatchev.

En 2012 Dounaïev a été mis en examen dans le cadre d’une affaire pénale pour détournement d’un demi-milliard de roubles, mais il a réussi à fuir la Russie. En 2014 il a été arrêté en Israël, mais n’a pas été extradé en Russie, parce qu’une “notice rouge” avait été émise contre lui par Interpol en 2017. Selon les bases de données officielles, Dounaïev demeure recherché par le Ministère de l’intérieur de la Fédération de Russie.

 

LA RÉSERVE FEDERALE Enquête: quand le FSB “protège” les banques

PROEKT – Cycle “Lutte pour la corruption”

LA RÉSERVE FEDERALE
Enquête: quand le FSB “protège” les banques

Anastasia Stogney, Roman Badanine, avec Irina Malkova.
Le 31 juillet 2019

Matériaux recueillis conjointement avec la publication The Bell

1 – Comment les anciens du Service se muent en banquiers

2 – Le FSB et les “changeurs”, même combat

3 – Accaparement des banques par les autorités

4 – Guerres intestines entre services spéciaux

Le colonel du FSB Kirill Tcherkaline et ses anciens collègues ont été arrêtés avec 12 milliards de roubles en leur possession, en cash. Mais cela n’est qu’une partie d’un vaste schéma de “protection” [une forme de racket mafieux, connu en Russie sous le terme de krychévanié – note du trad.], visant le secteur bancaire russe. Les banquiers victimes de ces exactions racontent que des membres de la direction de l’Agence de Garantie des Dépôts, des juristes liés aux services spéciaux, ainsi que des “changeurs” douteux [entités offrant des services de détournement de fonds – note du trad.] participaient à ces exactions au même titre que des officies haut-gradés du FSB.

“Nous avions rendez-vous au café Vogue à Moscou. Tcherkaline (le colonel du FSB Kirill Tcherkaline – note de Proekt/The Bell) est arrivé dans une Range Rover avec chauffeur. Il était en civil, une Rolex au poignet. Je me souviens qu’il a payé toute l’addition, ce qui n’est pas dans les habitudes de ces gens-là”, raconte Aleksandr Gélezniak, ancien copropriétaire du groupe financier Life. Cela fait quatre ans que lui-même et les autres actionnaires de Life résident à l’étranger: leurs banques en Russie se sont vu retirer leurs licences et les actionnaires et les gérants font face à des poursuites pénales.

L’entrevue en question avec Tcherkaline a eu lieu en été 2014. Au déjeuner l’officier du FSB a proposé des modalités de collaboration simples: la banque Probiznesbank, pilier de la structure de Life, accepte de se doter d’un vice-président — un officier du FSB en retraite, lequel disposera, en plus d’un salaire annuel de 120 000 dollars, d’un bureau, d’un assistant personnel et d’une voiture de fonction avec chauffeur [informations figurant dans l’affidavit de Gélezniak, dont Proekt/The Bell ont pu prendre connaissance]. Cela constituait la condition préalable à un accord de plus grande envergure, consistant à céder une participation importante au capital du groupe Life à une entité commerciale, laquelle se chargerait de partager les dividendes avec des fonctionnaires haut-placés au FSB et à la Procurature.

En 2019, Gélezniak, qui se trouvait alors aux Etats-Unis, a fourni un témoignage sous serment pour production devant les tribunaux internationaux, dans lequel il a décrit en détail les évènements ayant affecté le groupe Life [les ex-actionnaires de Life ont diligenté plusieurs procès en Europe et aux Etats-Unis contre les créanciers russes. La rédaction a pu prendre connaissance de l’affidavit de Gélezniak et des dépositions de plusieurs autres gérants du groupe Life]. Son affidavit [témoignage produit par écrit et sous serment], ainsi que les récits d’autres banquiers, jettent quelques lumières sur la façon dont le FSB et d’autres organes de pouvoir rackettent, ou “protègent”, les banques.

Extrait de l’affidavit d’Alexandr Gélezniak
M. Tcherkaline, fonctionnaire depuis de longues années, est arrivé au rendez-vous dans une voiture de luxe avec chauffeur, avec une montre Rolex au poignet. Il a confirmé que la lettre que j’avais adressée au FSB avait été contresignée, et a dit qu’il prenait l’affaire sous son contrôle personnel. Nous avons ensuite mis au points certains aspects logistiques. Le PRBB devait payer un salaire annuel de 120 000 dollars américains au vice-président de la Banque nommé par le FSB, lequel disposerait en outre d’un bureau personnel, d’une voiture de fonction avec chauffeur et d’un assistant personnel.

Racketteurs et rackettés

“Brillant, très intelligent, parfaitement au fait… Je l’aurais engagé sans hésiter, s’il n’y avait pas toutes ces histoires”, c’est ainsi qu’un des grands banquiers russes décrit Tcherkaline. “Mais tous ces garçons cherchent le profit, leur génération est ainsi”, ajoute-t-il.

Lorsqu’en avril de cette année Tcherkaline a été arrêté pour corruption et fraude, ce colonel âgé de 38 ans avait déjà fait une jolie carrière au Service de la sécurité économique au sein du FSB (SEB). A la date de son entrevue avec Gélezniak il occupait le poste de directeur de la section “K”, qui supervisait pratiquement l’intégralité du secteur financier: banques, fonds de pensions, compagnies d’assurance.

Lors de la perquisition au domicile du colonel, les forces de l’ordre ont trouvé 12 milliards de roubles (189,6 millions de dollars) en espèces et objets de valeur [selon une autre version, les 12 milliards de roubles auraient été retrouvés aux domiciles des trois suspects]. C’est un record absolu en matière de biens confisqués à un fonctionnaire russe accusé de corruption.

“Allons, vous connaissez bien ce principe: lorsque rien ne sert de lutter contre un phénomène, il faut en devenir le maître”, explique un interlocuteur ayant personnellement connu Tcherkaline et nombre de ses collègues, en parlant de l’époque où le FSB cherchait à asseoir sa domination sur le marché bancaire. C’était le début des années 2000, l’époque où le marché des “changeurs” en Russie était en croissance exponentielle.

Selon une source proche du FSB, la section “K” avait deux modes d’interaction officieuse avec les banques: une commission sur les fonds détournés, correspondant à 0,1-0,2% du montant d’une transaction; ou bien des pots-de-vin fixes et des rétro-commissions pour des infractions ponctuelles. Les banques qui détournaient des fonds se voyaient imposer un “abonnement” par la section “K”, raconte un ancien copropriétaire d’une banque de première importance, dont la licence a été retirée.

Pour percevoir son pourcentage, le FSB installait un “racketteur détaché”, un officier du FSB en retraite, qui était le plus souvent nommé directeur du service de sécurité économique de la banque; c’est lui qui assurait le contrôle de tous les flux financiers. Il pouvait ainsi “garder les choses en main”. En outre, le “racketteur détaché” était également chargé de recueillir des informations sur le marché [indique le même interlocuteur que précédemment].

Le système n’était pas clos: il aurait été impossible de contrôler à soi seul l’intégralité du secteur bancaire. Pour contrôler le marché du “change”, autrement dit du détournement, il fallait trouver des espèces, explique une source proche du FSB. Pour ce faire la section “K” devait collaborer avec les sections régionales du FSB. Dans les régions, en particulier dans le Sud de la Russie, où la part du marché “gris” est considérable, il a toujours été moins cher et plus facile de se procurer des espèces, toujours selon cette même source. “Admettons qu’une banque de Moscou ait un réseau de filiales régionales éloignées; ces-dernières se chargent d’accumuler des espèces qu’elles transfèrent au siège. Le siège a accès à de plus gros clients, auxquels il vend ces espèces; une partie du bénéfice est reversée aux filiales régionales, vu qu’elles n’ont que peu de clients de ce calibre-là dans les régions”, raconte notre interlocuteur.

Pour le transport de fonds à Moscou, c’étaient les membres des groupes spéciaux “Alpha” et “Vympel” du FSB, qui donnaient un coup de main en prenant sur leurs heures de travail. “Ils prenaient un congé maladie, et le véhicule de transport était prétendument envoyé en révision technique” [indique une source proche du FSB, décrivant le schéma de fonctionnement logistique]. Il fallait évidemment coopérer aussi avec le Service d’inspection interne du FSB, qui se rendait bien compte du business que faisaient tourner leurs collègues.

Quel rapport avec Navalny?

En mai 2019 Tcherkaline a accueilli les membres de la société civile qui étaient venus lui rendre visite dans sa cellule de la prison de Léfortovo, où il se trouve en détention provisoire, vêtu d’un survêtement Givenchy. Le colonel avait entre temps transformé sa cellule pénitentiaire en “cellule monacale”, en placardant les murs d’icônes [selon le magazine Kommersant].

Service de la sécurité économique de FSB (SEB)

Le SEB est l’un des services les plus influents au sein du FSB. On le retrouve derrière presque toutes les affaires à retentissement de ces dernières années, de l’arrestation d’Alekseï Oulioukaïev et des frères Magomédov, à l’affaire de la “cocaïne argentine”. Et le poste de directeur du SEB a servi d’excellent tremplin à plus d’une carrière.

Directeurs successifs du SEB

1998 Aleksandr Grigoriev
Membre de la section du FSB pour la ville de Leningrad depuis 1975, où il a servi aux côtés de Vladimir Poutine. Ami de ce dernier, selon les médias. Décédé en 2008.

1998 Nikolaï Patrouchev
Directeur du Ministère de la sûreté de la Carélie (où travaillait Zaostrovtsev). Directeur du FSB de 1999 à 2008. Actuellement Secrétaire du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie.

1999 Viktor Ivanov
Membre de la section du FSB pour la ville de Leningrad depuis les années 1970. Au milieu des années 1990, chef de la Direction des organes administratifs à la Mairie de Saint-Pétersbourg (Poutine était alors adjoint du maire de Saint-Pétersbourg, A. Sobtchak). A dirigé le FSKN (Section de lutte anti-stupéfiants) jusqu’en 2016.

2000 Ioury Zaostrovtsev
Diplômé de l’Ecole du KGB de Leningrad. Fonctionnaire au Ministère de la Sûreté de la Carélie au début des années 1990 (ministère dirigé à l’époque par Patrouchev). Connaît bien Poutine (cf. Kommersant); Poutine dirigeait le comité des relations extérieures de la Mairie de Saint-Pétersbourg lorsque Zaostrovtsev était en poste en Carélie.

2004 Aleksandr Bortnikov
Directeur en exercice du FSB depuis 2008.

2008 Ioury Iakovlev
A quitté le SEB presque en même temps que Voronine (RBK). Actuellement vice-président chargé des questions de sécurité à Rosatom.

2016 Sergueï Korolev
Directeur en exercice du SEB. A contribué à la nomination de Tkatchev [selon les données du Centre de direction des enquêtes (TSUR)].

La Section “K”
L’une des sections principales du SEB. Responsable des banques, assurances et fonds de pension.

Jusqu’en 2016 Viktor Voronine
A démissionné lorsque l’un de ses subalternes s’est retrouvé impliqué dans une affaire de contrebande. Inclus dans la “loi Magnitski”. A donné le feu vert au poursuites pénales contre Hermitage Capital. En 2019 nommé directeur-général adjoint pour l’interaction avec les organes d’Etat chez un sous-traitant de Rosatom.

Depuis 2016 Ivan Tkatchev
Directeur en exercice de la Section “K”. A fait son service militaire dans les garde-frontières en Carélie, avec l’ex-directeur adjoint du Service d’inspection interne du FSB Oleg Féoktistov [selon les données du TSUR]. Avant d’être nommé à la Section “K”, il a dirigé le 6ème Bureau du Service d’inspection interne du FSB, “les Commandos de Setchine” [surnom donné par le TSUR et les interlocuteurs de Proekt/The Bell]. C’est lui-même qui a donné l’ordre d’intercepter le véhicule d’Oulioukaïev.

Département bancaire
Fait partie de la Section “K”

Avant 2013 Dmitry Frolov
Le journal Novaïa Gazéta a découvert que sa famille était propriétaire d’une maison non déclarée et de quatre terrains en Italie. Peu avant la publication du présent article Frolov a été limogé pour “perte de confiance”.

2016 Kirill Tcherkaline
A succédé à Frolov. “Tcherkaline est, pour ainsi dire, le disciple de Frolov, qui l’a élevé” [indique l’interlocuteur de Proekt/The Bell]. Arrêté au printemps 2019.

Jusqu’alors Tcherkaline ne donnait pas l’impression d’être un homme particulièrement religieux à ceux qui le croisaient. Sur les quelques photos publiées sur des pages Telegram, il fait plutôt l’effet d’un bon-vivant: il pose dans des stations de villégiature en Europe, portant des vêtements bien coupés et chargé de sacs provenant de boutiques de luxe. “Il savait être affable, mais c’était le type de personne avec qui on voulait aussitôt couper toute relation”, se rappelle aujourd’hui Gélezniak. Pour les amis d’enfance Aleksandr Gélezniak et Sergueï Léontiev, co-propriétaires du groupe Life, la rencontre avec Tcherkaline s’est très mal terminée. Après l’entrevue de 2014 au café Vogue, les associés ont accepté d’intégrer un “racketteur détaché” à la Probiznesbank. Gélezniak a lui-même adressé une lettre formulant cette demande à Viktor Voronine, qui dirigeait à l’époque la Section “K”. Aux dires de Gélezniak, il aurait agi ainsi sur les conseils du copropriétaire de la concessions automobile Avilon, un certain Kamo Avagoumian, un client VIP de la banque et une connaissance de longue date de Gélezniak [la rédaction a adressé une demande au représentant d’Avilon, restée sans réponse à ce jour]. Ladite lettre, comme l’affirme Gélezniak, aurait été contresignée par Voronine [Proekt/The Bell ont envoyé une demande à l’adresse postale de la société Fizpribor, qui emploie actuellement Voronine, ce dernier ayant quitté le Service en 2016. La demande est restée sans réponse]. Mais les propriétaires de Life ont refusé de céder des parts du capital.

Gélezniak affirme qu’au moment des faits les banques du groupe étaient financièrement stables, même si en 2014 le groupe Life avait accusé plusieurs milliards de roubles de pertes. Les chiffres de Probiznesbank relatifs aux prêts arriérés aux personnes physiques et morales étaient très largement au-dessus de la moyenne nationale [d’après Vedomsti]. Vers la fin de l’année l’agence de notation Finch a annulé les notes de Probiznesbank. Les inquiétudes à l’époque étaient surtout liées au portefeuille de titres dans lequel Probiznesbank avait investi 47 milliards de roubles, autrement dit près de la moitié de ses actifs; les titres étaient en majeure partie déposés chez des dépositaires chypriotes. La crise poussait les autres banques à vendre frénétiquement pour garder des liquidités, et seul le portefeuille de Probiznesbank demeurait pratiquement immobile [se rappelle l’analyste de Fitch Aleksandr Danilov]. Ce qui n’a pas, non plus, manqué de susciter des interrogations chez la Banque centrale.

En septembre 2014 le régulateur bancaire a retiré la licence de la Bank24.ru, appartenant aux propriétaires du groupe Life, puis, l’année suivante, la licence de Probiznesbank lui-même. Bank24.ru a perdu sa licence pour avoir enfreint les lois anti-blanchiment, bien qu’au moment du retrait de la licence l’actif de la banque était de 2 milliards de roubles supérieur au passif. Selon Gélezniak, la banque n’avait aucune activité de blanchiment, et ce qui lui était reproché par le régulateur n’étaient en fait “que cinq opérations bancaires, dont la banque n’a pas informé la Banque centrale en temps voulu”. Selon les informations avancées par le régulateur, Probiznesbank aurait placé ses fonds dans des “actifs de basse qualité” et aurait “entièrement perdu son capital”; de même, l’administration judiciaire aurait révélé des opérations d’envergure présentant des signes de détournement de fonds. Le régulateur aurait en fin de compte estimé le “trou” dans les comptes de Probiznesbank à près de 35 milliards de roubles. “Aujourd’hui la Russie n’est pas encore prête pour un groupe comme Life”, a écrit Léontiev dans le blog interne de la société. “Il faut croire que l’époque des sociétés telles que Life n’est pas encore arrivée dans ce pays. C’est pourquoi je m’en vais faire prospérer Life dans d’autres lieux du globe pour les cinquante ans à venir.” Ni lui, ni Gélezniak ne sont jamais retournés en Russie depuis.

Dans son témoignage Gélezniak explique la chute de son entreprise bancaire par des raisons politiques. En 2012 les dirigeants de Life avaient convié Alexeï Navalny à une session de réflexion stratégique destinée au management. A cette époque, la banque Bank24.ru qui faisait partie du groupe a souhaité soutenir le leader d’opposition en lançant en cachette la “carte de crédit Navalny” — 1% du montant de chaque achat effectué au moyen de la carte était reversé au Fonds anti-corruption institué par Navalny. [Cette idée a effectivement été discutée avec le Fonds FBK, mais elle n’a jamais été mise en pratique et aucun transfert n’a jamais eu lieu, a indiqué le porte-parole de Navalny, Kira Iarmych.] L’action n’est pas restée clandestine très longtemps: dès que les médias en ont eu vent, l’ancien chef de département à la Banque centrale, Alexeï Pliakine, a averti Gélezniak que ce genre de collaboration susciterait “de très nombreuses questions” de la part de la Banque centrale et de la Procurature [indique Gélezniak dans son témoignage; le service de presse de la Banque centrale n’a pas fait de commentaires au sujet de cet épisode]. Il a fallu renoncer à soutenir Navalny, mais “le Kremlin n’a pas oublié l’incident” [affirme Gélezniak dans son témoignage].

Le licences des banques ont été retirée, mais les problèmes de Léontiev et Gélezniak ne faisaient que commencer.

Le FSB et les “changeurs”

Le système dont le groupe Life a déclaré avoir souffert, a notoirement mis plusieurs années à s’établir, et les banques ont dû s’en accommoder — en particulier celles qui faisaient du “change” et aidaient au détournement de fonds [indiquent les interlocuteurs de Proekt/The Bell sur la place financière].

Pour Mikhaïl Zavertiaïev, l’ex-président du conseil d’administration de la banque Intelfinans, qui a périclité en 2008, l’interaction avec la Section “K” a commencé par une rencontre avec Evguéni Dvoskine, l’un des banquiers russes les plus odieux, désigné par l’agence Bloomberg comme “l’une des figures clé du ‘change’”, ayant des liens avec le FSB et la mafia.

Au début du mois de décembre 2007 deux individus sont entrés dans le bureau de Zavertiaïev; curieusement, ils étaient arrivés au siège de la banque dans une ambulance. Le premier était Dvoskine, le deuxième son garde du corps. “Une démarche à-la-mafieux, puis une phrase: ‘C’est celui-là? C’est lui qui ne sait pas comment il faut parler aux gens?’”: c’est le souvenir que Zavertiaïev a gardé de l’acolyte de Dvoskine. La veille de leur visite le banquier dit avoir surpris son comptable en chef en flagrante tentative d’accorder un prêt à une société écran, supposément affiliée à Dvoskine.

“Dvoskine s’approche, me donne une gifle magistrale, je lui assène un coup de coude, il s’écroule. La seule idée qui me traverse l’esprit: il est tombé à coté de ma mallette, dans laquelle il y a les documents; il va les prendre et partir en courant. Je me penche pour prendre la mallette, mais un coup de pistolet sur le crâne me fait perdre connaissance”, telle est la version de l’incident fournie par Zavertiaïev.

Au cours des deux mois qui ont suivi, on aurait détourné près de 11,7 milliards de roubles de la banque, selon son estimation. (10 millions sur ce montant auraient finalement été incriminés au comptable en chef d’Intelfinans, qui a été condamné à trois ans d’emprisonnement avec sursis.) Pendant cette même période des inconnus ont incendié la voiture de la femme de Zavertiaïev, qui a été contraint de cantonner les membres sa famille à la maison de campagne et d’engager des gardes du corps pour les protéger [selon le banquier].

Zavertiaïev affirme que les fonds étaient détournés au moyen d’une signature contrefaite, bien qu’il avait personnellement, alors qu’il était hospitalisé, “averti la Banque centrale que la banque était braquée, et demandé une suspension de licence afin de prévenir des actes de fraude”. Mais le régulateur n’a pas voulu accéder à sa demande: “Le vice-président de la Banque centrale Guénnadi Mélikian a expliqué qu’ils n’avaient jamais été confrontés à de telles demandes et ne savaient pas comment agir en ces circonstances” [a indiqué Zavertiaïev]. Mélikian a ensuite déclaré au journal Vedomosti avoir “réagi très rapidement dans le cas d’Intelfinans, d’autant plus que tout le monde était en vacances jusqu’au 10 janvier”. Lors du retrait de la licence la Banque centrale a fait savoir que les dirigeants et collaborateurs de la banque ont “de fait mis fin aux activités de celle-ci, à la suite de quoi il s’est créé une situation de nature à nuire aux intérêts des créanciers et des déposants de la banque”.

Environ six mois après l’incident Zavertiaïev a rencontré deux membres de la Section “K”: Frolov et Tcherkaline. L’ex-banquier affirme par ailleurs que le premier adjoint du directeur du KGB, Sergueï Smirnov, était également présent à l’entretien.

La rencontre a eu lieu au restaurant Palazzo Ducale, sur le boulevard Tverskoï. “Qu’est-ce que vous prendrez? Une petite salade? Seulement de l’eau? Allons, prenez au moins une petite salade!” — ses interlocuteurs étaient délicieusement prévenants, raconte Zavertiaïev. L’entretien avait, selon lui, deux objectifs: comprendre s’il avait des preuves de la visite de Dvoskine, et si oui, lesquelles; et, d’autre part, le convaincre de cesser toute tentative de recouvrer l’argent détourné. Il lui a semblé que les fonctionnaires du FSB connaissaient très bien Dvoskine. “Calme-toi, voyons! Nous l’avons déjà mis à la porte”, aurait dit Smirnov à propos du garde du corps de Dvoskine, en essayant de rasséréner Zavertiaïev. A la fin de l’entrevue les gens du FSB auraient proposé au banquier une compensation monétaire pour récupérer sa société.

Zavertiaïev raconte avoir lancé des poursuites judiciaires contre tous, et surtout contre Dvoskine, avec l’acharnement d’un désespéré. Mais il n’a finalement pas gagné un seul procès. Dvoskine a réussi à prouver qu’il ne pouvait avoir assailli Zavertiaïev, puisqu’il était à ce moment-là en train de témoigner dans le cadre d’une autre affaire pénale, dans laquelle il était partie civile. Ses dires ont été confirmés par les enquêteurs et par le relevé d’appels de son téléphone portable. En répondant aux questions de Proekt et de The Bell, Dvoskine a déclaré que Zavertiaïev a tout inventé, que le prétendu épisode avec la bagarre n’a jamais eu lieu, et qu’ils se sont rencontrés pour la première fois au moment de la confrontation judiciaire.

Dvoskine était protégé par le FSB, affirment deux sources proches de deux organes du pouvoir différents. Dvoskine lui-même dans l’entretien avec Proekt et The Bell a rappelé qu’il était recherché à l’étranger [on sait que la banque de Dvoskine est tombée sous le coup des sanctions étrangères à cause de sa présence en Crimée], et, lorsqu’on lui a demandé s’il était réellement sous la protection du KGB, il a raccroché le combiné. “Le Service a toujours gardé des ‘changeurs’ sous la main; ils en faisaient des informateurs, pour éviter d’avoir à les mettre eux-mêmes en prison”, a expliqué l’un de nos interlocuteurs. Parmi les “changeurs” il cite l’ancien co-propriétaire de Kreditimpeksbank Alexeï Koulikov, condamné il y a plusieurs années à neuf ans d’emprisonnement pour fraude. A première vue Kreditimpeksbank faisait piètre impression: une salle principale à moitié vide, une vingtaine de bureaux chichement meublés et un gardien taciturne. Mais au milieu des années 2000, cette banque occupait une importante part du marché du “change”, aux dires d’un interlocuteur proche du FSB. Comme dans de nombreuses autres banques, le service de sécurité y était dirigé par un ancien collaborateur de la Section “K” en retraite. Sa commission était de 0,2-3% de toutes les transactions opérées par la banque. Plusieurs fois la Banque centrale avait manifesté des inquiétudes au sujet de Kreditimpeksbank, mais le département bancaire du FSB avait réussi à régler la question [indique un interlocuteur de Proekt/TheBell]. Au moment du retrait de sa licence, le défaut de capital était estimé à 229 millions de roubles; près de deux millions ont été trouvés au domicile de Koulikov.

Il semblerait que les activités occultes supposées du département bancaire du FSB ne se limitaient pas à contrôler le marché du “change”. Tcherkaline était en contact étroit avec les dirigeants de presque toutes les banques majeures de Russie. Alexeï Khotine, l’ex-propriétaire de la banque Iougra, qui a récemment fait faillite [Khotine, selon RosBiznesKonsalting, a été assigné à résidence dans le cadre de l’affaire sur le détournement des fonds de Iougra], a affirmé dans son témoignage devant la justice avoir payé pendant trois ans des commissions à Tcherkaline en échange de sa protection [ces informations ont été publiées par RosBiznesKonsalting, mais la défense de Khotine les nie et affirme avoir porté plainte contre RosBiznesKonsalting].

La protection du FSB, comme le montre l’exemple de Iougra n’était nullement une garantie de la survie perpétuelle de la banque. D’autant plus que pour les collaborateurs de la Section “K”, la faillite d’une banque n’était qu’une occasion de plus de faire de l’argent.

L’Agence de garantie dépôts (de vin)

“350 millions de dollars n’est pas un prix si élevé pour votre vie et celle de vos proches”, telle était la proposition faite à l’ex-propriétaire de Mezhprombank Sergueï Pougatchev en 2011 par des collaborateurs de l’ex-directeur adjoint de l’Agence de garantie des dépôts (ASV) Valery Mirochnikov. [C’est ce que raconte Sergueï Pougatchev lui-même. Les avocats de Sergueï Pougatchev relatent cette histoire devant différents tribunaux depuis 2014, date à laquelle ASV a commencé la chasse aux actifs de l’ex-banquier. Mirochnikov a déjà répondu à ces griefs, notamment devant la justice, où il a réfuté toutes les accusations de Pougatchev et déclaré que ce dernier l’avait lui-même menacé de mort à travers ses intermédiaires].

ASV s’occupe des banques qui ont déjà fait faillite: le rôle premier de l’agence est de recouvrer les fonds restés “coincés” dans ces banques. Or pour ce faire il faut piocher dans la poche de l’Etat. En quinze ans, depuis qu’ASV a commencé à s’occuper de la liquidation et de l’assainissement des banques russes, 500 milliards de dollars sont sortis du système bancaire [publié par Republic sur la base des données de la balance des paiements de la Russie]; quant à l’Agence elle-même, elle a reçu 1 billion de roubles de plus (près de 16 milliards de dollars) [selon les données d’ASV] aux fins d’assainissement des banques faillies. De tels montants laissent le champ libre à bien des manœuvres.

Comme le prouvent les récits de Gélezniak et d’un autre banquier, Mirochnikov connaissait bien Tcherkaline. Gélezniak se souvient fort bien d’un entretien où l’un et l’autre étaient présents. Sans nul embarras face à leur interlocuteur, les deux fonctionnaires discutaient pour savoir “dans quelle banque mise en faillite on allait placer quel administrateur judiciaire”.

Mirochnikov a été appelé à comparaître comme témoin dans l’affaire Tcherkaline: cette décision a été prise par l’enquêteur après qu’il ait examiné la correspondance téléphonique des deux hommes [selon RosBiznesKonsalting]. Mais aussitôt après l’arrestation de Tcherkaline, Mirochnikov a quitté la Russie et n’y est jamais reparu (selon son entourage il serait d’abord allé en Australie, puis en Allemagne “pour recevoir des soins médicaux”). Deux mois plus tard l’Agence a annoncé sa démission, sans en indiquer les raisons.

Pougatchev, quant à lui, a même écrit une lettre à Poutine pour se plaindre des fonctionnaires d’ASV qui auraient cherché à lui extorquer 350 millions de dollars. En contrepartie de cette somme les représentants de Mirochnikov avaient proposé leurs services pour préserver une partie des avoirs de Pougatchev non liés à Mezhprombank, mais nantis à titre de garantie. Selon Pougatchev, les hommes de Tcherkaline agissaient en tandem avec ceux d’ASV. Le marché proposé était extrêmement simple. “A ce moment-là, suite à la faillite de Mezhprombank, une enquête pénale avait été ouverte contre X, mais on m’a clairement fait comprendre que ce cercle de personnes ‘non identifiées’ serait identifié très rapidement et que je pourrais en faire partie”, affirme Pougatchev. Les hommes du FSB auraient demandé la somme de 20 millions de dollars pour empêcher que cela ne se produise. Pugatchev dit avoir refusé de payer.

Pougatchev a, certes, au moins une raison d’éprouver de la rancune envers l’Agence et, éventuellement, de la calomnier: après son départ, ASV a réussi à obtenir le gel de ses avoirs pour près de 2 milliards de dollars. Mais Gélézniak dans son témoignage fournit des détails très similaires sur la collaboration entre Tcherkaline et Mirochnikov.

En 2016, après que Probiznesbank ait perdu sa licence et ses propriétaires aient quitté la Russie, Gélézniak aurait été contacté par Mirochnikov, qui lui aurait suggéré de prendre contact avec un certain Artem Zouïev [Gélezniak a montré à la rédaction le SMS correspondant envoyé depuis le numéro de Mirochnikov]. Mirochnikov aurait décrit Zouïev comme un associé du Groupe Quorum, mais Gélezniak a indiqué au tribunal dans sa déposition que Zouïev est “un raider institutionnel connu”. L’autre associé de Quorum [selon les données du registre SPARK] est l’avocat Andreï Pavlov, qui s’est rendu célèbre en participant à l’affaire de Sergueï Magnitski, à la suite de quoi il est tombé sous le coup des sanctions américaines. Pavlov, d’après les publications de Novaïa Gazéta, aurait été étroitement lié avec les structures des forces de l’ordre.

Le rendez-vous avec Zouïev devait avoir lieu à l’aéroport de Zürich, en Suisse. Zouïev a insisté pour que l’entrevue se passe tête-à-tête et l’avocat de Gélezniak a dû attendre à l’écart. Zouïev a fait savoir à Gélezniak qu’il était mandaté pour agir au nom de Quorum, laquelle avait été désignée administrateur judiciaire de Probiznesbank. Ce mandat, selon Zouïev, aurait reçu l’aval de Mirochnikov et de Tcherkaline. L’émissaire a donc proposé un marché: Léontiev et Gélezniak font une liste complète de leurs actifs, rentrent à Moscou et coopèrent avec les autorités russes. Ils seront condamnés à trois-quatre ans d’assignation à résidence, après quoi une compensation leur sera payée de la masse des actifs récupérés, dont Quorum aura, bien sûr, également sa part. Dans le cas contraire Zouïev a promis que Gélezniak et Léontiev feraient l’objet de “poursuites internationales”. “On ne vous laissera pas tranquilles – ce n’est pas une vie!”, aurait-il dit. Après cet entretien à Zürich Gélezniak a téléphoné à Mirochnkov en lui demandant quel était l’objectif de cette rencontre. “Nous voulons vous aider”, aurait répondu celui-ci [tiré de l’affidavit de Gélezniak].

Les propriétaires de Life ont refusé cette “aide”; Quorum continue à traquer leurs actifs dans le monde entier. Récemment les anciens gérants de Probiznesbank ont été condamnés à des peines de prison réelles: de trois à sept ans d’emprisonnement [indique Kommersant]. C’est Mirochnikov lui-même qui a adressé à Voronine une demande de poursuites pénales contre de Life [Proekt/TheBell disposent de ce document].

Luttes au sein de l’espèce

Le montant des prétentions qui ont envoyé Tcherkaline et ses collaborateurs derrière les barreaux est sans commune mesure avec l’ampleur des leurs activités, ni avec les 12 milliards retrouvés chez eux. Tcherkaline est accusé d’avoir reçu un pot-de-vin de 50 millions de roubles; quant aux deux autres complices mis en examen, ils sont accusés d’avoir accaparé des actifs du promoteur immobilier moscovite Sergueï Gliadelkine, pour un montant total de 499 millions d’euros.

Le personnage en question ne jouit pas d’une grande notoriété, mais c’est une figure ancienne du marché extrêmement fermé de la promotion immobilière à Moscou. “Un bourreau de travail, qui a gagné ses millions à la sueur de son front”, a écrit à propos de lui le journal Ekspress-Gazeta, dans laquelle ses photos apparaissent de temps à autre, grâce à sa femme Evguénia Krioukova, comédienne au théâtre Mossovet. Avant 2005 Gliadelkine était à la tête de l’entreprise d’état Moskva-Tsentr, où il supervisait la construction du centre-ville de Moscou; il était entre autre chargé de répartir les terrains à Ostozhenka, dans le fameux triangle d’or, atteignant les prix les plus élevés au mètre carré de la capitale.

L’arrestation de Tcherkaline n’est pas la première affaire qu’on doit à Gliadelkine. En 2010 une enquête pénale visant le vice-maire de Moscou Aleksandr Riabinine a été ouverte à sa demande. Lorsque l’avocat de Riabinine, qui a été condamné à trois ans de prison avec sursis, a demandé à Glidelkine au cours de l’audience depuis combien de temps il travaillait pour le FSB et s’il avait été décoré pour les missions accomplies, Gliadelkine a rétorqué: “Je ne répondrai pas à ces questions, car j’ai signé un accord de confidentialité”.

Outre la promotion immobilière, Gliadelkine œuvre avec profit dans d’autres domaines. En 2017, le numéro de téléphone d’Avenue Group, l’une des sociétés de Gliadelkine, était visible sur les toilettes publiques payantes “couleur or”, installées un peu partout dans la capitale à la place des anciennes cabines bleues, jugées obsolètes et “dépassées”. Glidelkine aurait également mené à bien des projets communs avec Igor Tchaïka, le fils du Procureur général de la Fédération de Russie Youri Tchaïka. [En 2013 Tchaïka et Gliadelkine ont immatriculé une société intitulée Tekhno-R-Region qui prévoyait des activités de collecte et de retraitement des déchets. Tchaïka avait déclaré en 2017 n’avoir jamais eu d’activités liées au retraitement, et après l’enquête menée par le Fonds de lutte anti-corruption ses structures ont cédé leur participation aux gérants de Gliadelkine. Pour autant, Tchaïka a ultérieurement acquis une participation dans l’une des plus entreprises les plus importantes du secteur de recyclage des déchets, Khartia. L’une des usines de traitement des déchets était précédemment dirigée par le propriétaire de la société qui a gagné le contrat pour l’installation des fameuses toilettes “en or”.]

Tchaïka-père est d’ailleurs mentionné dans l’affidavit de Gélezniak. Aux dires du banquier, la part du capital de Life qu’on a cherché à lui extorquer était destinée à ce que les “deux oiseaux” classent sans suite les poursuites lancées contre les actionnaires du groupe. Les “deux oiseaux” était une façon de désigner les Procureur général Tchaïka et le chef du Service de sécurité économique du FSB de l’époque, Voronine [indique Gélezniak] [“Tchaïka” signifie “mouette” en russe et “Voronine” est un patronyme dérivé de “corbeau”- note du traducteur]. La Procurature générale n’a pas souhaité répondre aux questions de Proekt/The Bell.

L’ancien poste de Voronine à la tête de la Section “K” est aujourd’hui occupé par le général Ivan Tkatchev, célèbre pour le rôle qu’il a joué dans les enquêtes sur la plupart des grosses affaires de corruption de ces derniers temps. Il avait déjà Tcherkaline dans son collimateur lorsqu’il était encore en poste au Service de l’inspection interne du FSB [selon RBK]. Les médias ont rapporté que Tkatchev et son chef Sergueï Korolev, qui dirige aujourd’hui l’ensemble du SEB, sont en conflit avec les hommes de Voronine et de son ami Smirnov, chef adjoint du FSB — celui-là même qui aurait assisté, d’après le banquier Zavertiaïev, à l’entrevue au restaurant Palazzo Ducale. [Le conflit entre les deux groupements à l’intérieur du FSB a été décrit, entre autres, par Open Media.]

“C’est une lutte au sein de l’espèce”, conclut laconiquement un entrepreneur ayant de bonnes relations avec les structures des forces de l’ordre. Une vision des choses que corrobore un banquier russe de premier plan qui connaissait bien les officiers arrêtés.

D’ici deux ans et quelques mois le directeur du FSB Aleksandr Bortnikov fêtera ses 70 ans, l’âge limite pour pouvoir occuper ce poste. Cela veut dire que le clan qui prendra le dessus dans la lutte pour son fauteuil “sera maître de tout” [affirme un banquier russe de première importance, ayant bien connu Frolov et Tcherkaline].

Mirochnikov est “quelqu’un de très riche” d’après son entourage. Nous avons passé en revue son patrimoine immobilier — uniquement les biens qu’il possède en Russie. Le fils de cet ancien directeur-adjoint d’ASV, prénommé Maxime, âgé d’à peine 22 ans, possède une maison de 400m2 et un terrain dans le village de Fominskoïé, non loin de Troïtsk. D’après les documents officiels, il s’agit d’un cadeau que lui aurait fait la mère de Valery Mirochnikov, Tatiana Mirochnikova. Madame Mirochnikova est âgée de 68 ans et n’a jamais eu d’activité économique (si l’on en croit le registre SPARK), ce qui ne l’empêche pas de posséder trois appartements dans le centre de Moscou: deux dans la résidence Imperski Dom dans la rue Iakimanka, d’une surface totale supérieure à 500m2, et un appartement de 200m2 dans la résidence Ostozhenka Park Palace. Mirochnikov lui-même est propriétaire d’un appartement de grand luxe au 6ème étage de la résidence La Defence dans la quartier de Khamovniki. L’ensemble pourrait valoir plus d’un milliard de roubles.

“Homme dangereux”: le banquier disgracié Pougatchev parle du chef adjoint de la DIA qui a quitté la Russie

Le banquier disgracié, Sergueï Pougatchev, a été le premier à accuser publiquement l’ancien directeur général de l’assurance-dépôts Valery Miroshnikov, qui a quitté le pays, d’extorsion. Forbes s’est entretenu avec l’ancien banquier

Interfax a annoncé le départ de Miroshnikov du poste de premier chef adjoint de la DIA après 15 ans de travail le 10 juillet, citant ses propres sources. Selon Kommersant, Miroshnikov serait lié à l’affaire du colonel Kirill Cherkalin, du FSB, et aurait quitté le pays le jour de l’arrestation de l’officier. Cherkalin a été arrêté le 25 avril 2019. Il est accusé d’avoir touché un pot-de-vin de 850 000 $. Il est accusé de fraude, lors d’une perquisition on a trouvé 12 milliards de roubles d’argent et d’objets de valeur, ainsi que chez deux de ses deux collègues.
Lorsque Cherkalin a été arrêté, Miroshnikov, selon The Bell, était en vacances en Australie, puis a déménagé en Allemagne. Selon Pougatchev, Miroshnikov est maintenant en Israël. Comme l’ont écrit The Bell and Project, se référant à deux anciens banquiers, avant de révoquer les licences des banques, Cherkalin et Miroshnikov leur ont proposé de résoudre les problèmes d’argent pour l’avenir. Pougatchev a également reçu de telles offres, dit-il.
“C’est qui, Obama ?”
Pour la première fois, le fondateur de Mezhprombank a entendu parler de Miroshnikov à l’été 2010, explique l’ancien banquier à Forbes. À ce moment-là, les autorités discutaient déjà de l’achat des actifs de construction navale de l’ex-sénateur depuis plus de six mois. Selon Pougatchev, la banque centrale était censée donner l’argent suite à l’accord, mais la décision a été retardée.
A cette époque, plusieurs personnes proches de la Banque centrale sont venues voir Pougatchev et ont déclaré qu ‘”il y a quelqu’un qui peut l’aider”. Pougatchev, qui avait la réputation d’être un “banquier du Kremlin” et était proche de tous les hauts fonctionnaires, s’est étonné de ne pas avoir rencontré une telle personne: “C’est qui, Obama?” Les interlocuteurs auraient déclaré qu’il s’agissait de «Valera Miroshnikov», capable de «tout accélérer à la Banque centrale».
Pougatchev a tenté de s’enquérir de Miroshnikov auprès de son chef, Alexander Turbanov, alors à la tête de la DIA. Il aurait recommandé de ne pas frayer avec ce subordonné. Quelques sources plus connues de Pougatchev ont décrit Miroshnikov comme une “personne dangereuse” ayant des connexions au sein du FSB. Cependant, le besoin de contact avec Miroshnikov a bientôt disparu. En juillet, Mezhprombank a perdu sa licence et en 2011, Pougatchev a quitté la Russie.
350 millions de dollars pour le chef adjoint Miroshnikov
Ensuite, Pougatchev a entendu parler de Miroshnikov en mai 2011. Puis l’homme d’affaires Gore Khechoyan est venu en France pour représenter les intérêts du directeur adjoint. Il a proposé d’aider à restituer l’argent des actifs de construction navale qui ont été transférés à la Banque centrale pour les dettes de Mezhprombank, dit Pougatchev. En contrepartie de la médiation, Khechoyan aurait demandé 5 millions de dollars, que Pougatchev a donné à sa société sous forme de prêt.
Un mois plus tard, Pougatchev a rencontré d’autres représentants de Miroshnikov, un ancien employé de la DIA, Mikhail Bashmakov, et un homme d’affaires, Alexander Dunaev. Miroshnikov lui-même devait participer à une réunion dans l’un des restaurants du port de Monaco. En fait, les choses se sont passées différemment.
Pougatchev, qui est arrivé au port, a été informé que les plans avaient changé et que les négociations se dérouleraient sur un yacht. Les négociateurs ont également persuadé l’ex-sénateur de laisser ses trois gardes du corps et son téléphone sur le rivage. Lorsque le yacht avec l’invité a quitté la côte, Bashmakov aurait promis 3,5 milliards de dollars à Pougatchev grâce à la vente de ses anciens actifs dans le secteur de la construction navale. Il a estimé ses services à 10% du montant, soit 350 millions de dollars.
Pougatchev a rejeté la proposition et a personnellement exigé Miroshnikov, qui ne s’est jamais présenté. Ensuite, Bashmakov aurait parlé au directeur adjoint par téléphone. Après cela, le ton de la conversation a changé, se souvient Pougatchev. Les négociateurs auraient commencé à mettre en avant leurs liens avec le FSB et à menacer le banquier de poursuites pénales et de la mise sous séquestre de ses biens personnels. Toutes ces menaces ont été réalisées, reconnaît Pougatchev.
20 millions de dollars pour le colonel Cherkalin
La réunion sur le yacht s’est terminée sans aboutir. Selon Pougatchev, pendant environ un an, ses avocats et les représentants de Miroshnikov ont continué à discuter des détails d’un éventuel accord. Et en 2012, le colonel du FSB, Kirill Cherkalin, qui avait supervisé les crimes liés au secteur bancaire, aurait eu connaissance des négociations.
Par l’intermédiaire des agents de sécurité de Pougatchev, il l’a informé de la poursuite des poursuites pénales. Et aurait proposé de ne pas continuer l’affaire pour 20 millions de dollars, dit Pougatchev. L’ancien banquier a refusé, après quoi Cherkalin aurait uni ses forces à Miroshnikov. En conséquence, comme pense Pougatchev, il est devenu la personne impliquée dans l’affaire de faillite criminelle Mezhprombank.
Miroshnikov a mis fin aux négociations avec Pougatchev après avoir appris que l’ex-banquier avait engagé une procédure pénale contre lui. En 2011, Pougatchev a déposé en France une déclaration sur l’extorsion de fonds et les menaces de mort qu’il avait rencontrées dans le pays. La déclaration s’appuyait sur les événements survenus sur le yacht en juin 2011. Dans une déclaration, Pougatchev appelle Bashmakov et Dunaev “les hommes de main” Miroshnikov, qui aurait menacé l’ancien sénateur de représailles contre lui et ses proches s’il ne payait pas 350 millions de dollars.
L’affaire pénale a été ouverte en 2013 et fait toujours l’objet d’une enquête, selon M. Pougatchev. Et il s’attend à ce que des audiences soient programmées d’ici la fin de l’année. Selon lui, Miroshnikov a tenté de s’entendre avec lui sur le retrait de la demande. L’ancien chef adjoint de la DIA aurait continuer “à ce que je ne l’oublie pas”, a déclaré Pougatchev, convaincu que Miroshnikov ne lui avait pas pardonné son intraitabilité et que son cas était sous son contrôle personnel.

Le litige à Londres

Le fondateur de Mezhprombank est devenu le premier banquier à accuser ouvertement Miroshnikov d’extorsion de fonds. Cela s’est passé en 2014 dans le cadre de la procédure devant la High Court of London, où l’ex-sénateur a contesté le gel de ses avoirs suite à la demande de la DIA. Puis le témoignage de Pougatchev a été exprimé par son avocat.
Ceux qui n’aiment pas «la position active du personnel de la DIA en matière de recherche ou de restitution d’avoirs» ont fait état de nombreuses cas de corruption au sein de la DIA, a indiqué Miroshnikov dans son témoignage qu’il a présenté à la Haute Cour de Londres en octobre 2014 (Forbes en a une copie). L’ancien directeur a confirmé qu’il connaissait Khechoyan, Bashmakov et Dunaev, mais a nié les avoir autorisé à agir en leur propre nom ou au nom de la DIA. Miroshnikov a déclaré que les accusations d’extorsion étaient des calomnie et mensonges.
Miroshnikov a également nié que tout ceci soit politiquement motivé contre de Pougatchev. La Haute Cour de Londres n’a pas cru à la mauvaise fois de la DIA et a arrêté les biens de l’ancien sénateur. En 2017, la DIA a commencé à vendre les actifs de Sergueï Pougatchev.

Le téléphone portable de Miroshnikov était éteint vendredi.

Le banquier Sergueï Pougatchev s’est plaint à Vladimir Poutine des menaces reçues de Mirochnikov en cavale

Selon les informations de The Bell, l’ancien propriétaire de Mezhprombank Sergueï Pougatchev avait déjà adressé, au mois de novembre 2014, une lettre à Vladimir Poutine, dans laquelle il affirmait être victime de menaces et tentatives d’extorsion de la part de Valériy Mirochnikov, l’ex-vice-directeur de l’Agence de garantie des dépôts (ASV), et des adjoints de ce dernier.

La semaine passée Mirochnikov a démissionné de son poste dans le cadre de l’affaire de Kirill Tcherkaline, colonel du FSB. Ce dernier avait été arrêté en avril, avec en sa possession 12 milliards de roubles en cash. Après sa démission, Mirochnikov a quitté la Russie.

Lettre à Poutine. La lettre de Pougatchev adressée à Poutine (dont The Bell a pu obtenir une copie), fait partie des pièces de l’affaire actuellement examinée par la Cour d’arbitrage de La Haye. La cour a été saisie en septembre 2015 par Sergueï Pougatchev, qui a introduit une demande en arbitrage contre la Fédération de Russie pour un montant de douze millards de dollars. La première audience s’est tenue le 13 février 2017. L’ex-banquier accuse, entre autres, la Fédération de Russie de l’avoir contraint à conclure des marchés à des conditions défavorables et d’avoir spolié ses actifs.

Dans sa lettre Pougatchev identifie Valériy Mirochnikov, désormais l’ex-vice-dirigeant d’ASV, comme “l’acteur principal” de la campagne menée contre lui après le retrait de la licence bancaire de Mezhprombank et le passage de la banque sous la tutelle d’ASV.

Extrait. “Je dispose d’informations véridiques sur de nombreuses exactions dont il [Mirochnikov] est l’auteur”, écrit Pougatchev. “La plus scandaleuse parmi celles-ci est la tentative d’extorsion à mon égard, menée par un groupe organisé d’employés d’ASV et leurs complices, qui ont tenté de m’extorquer personnellement 350 millions de dollars, sous la menace de représailles physiques et de poursuites judiciaires contre moi-même et les membres de ma famille, qu’ils comptaient mener  à bien grâce à leurs relations corrompues au Comité d’enquête.”

Dans sa lettre Pougatchev indique comme motif de Mirochnikov “les crimes commis antérieurement dans un but d’enrichissement personnel”.

Dans son entretien avec The Bell Pougatchev a confirmé avoir rédigé la lettre en question et l’avoir transmise à Vladimir Poutine par le biais d’un intermédiaire désigné par le président. La lettre aurait été remise à ce dernier en main propre, affirme l’ex-banquier.

Le porte-parole du président Poutine, Dmitriy Peskov, n’a pas souhaité faire de commentaires à The Bell.

 

“350 millions ce n’est pas un prix si élevé pour votre vie”. La nature et les auteurs des menaces adressées à Pougatchev

 

Les menaces adressées à Pougatchev sont décrites dans une autre requête (dont The Bell dispose également d’une copie), introduite en 2013 auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris. Dans cette requête Sergueï Pougatchev expose les “faits d’enlèvement, menaces de mort, extorsion et escroquerie”. L’ex-propriétaire de Mezhprombank met en cause plusieurs individus, dont Mirochnikov lui-même, l’ancien employé d’ASV Aleksandr Dounaïev et un certain Mikhaïl Bachmakov, qui, selon Pougatchev, aurait également des liens avec l’Agence. La requête affirme que ces personnes auraient adressé des menaces mort et de représailles à Pougatchev. Sergueï Pougatchev a également mentionné ces menaces dans un entretien accordé hier à l’édition russe de Forbes. Les individus susmentionnées ont été désignés comme suspects dans l’affaire pénale instruite en France, a affirmé Sergueï Pougatchev dans l’entretien avec The Bell.

La requête offre aussi une description de la première entrevue entre Pougatchev, d’une part, et Bachmakov et Dounaïev, d’autre part, qui a eu lieu le 3 juin 2011 à bord d’un yacht au large des côtes françaises, après que la licence de Mezhrpombank a été retirée et que Pougatchev a fui la Russie.

C’est lors de cette entrevue que les interlocuteurs d’ASV, aux dires de Pougatchev, l’auraient menacé en ces termes: “350 millions ce n’est pas un prix si élevé à payer pour votre vie et la vie de vos proches”.

“Ce n’était pas une conversation civilisée mais d’authentiques menaces”, raconte Sergueï Pougatchev. “Ils m’ont promis de m’envoyer un doigt de mon fils, directement sur mon yacht. J’étais là quand ils ont appelé Mirochnikov au téléphone; il le tutoyaient et l’appelaient par son prénom, ils étaient à l’évidence très liés.” Il signale par ailleurs que Bachmakov et Dounaïev lui ont plusieurs fois indiqué qu’ils avaient des relations au FSB.

La requête de Sergueï Pougatcehv cite les propos de ses interlocuteurs sur le yacht: “Vos enfants habitent à l’étranger, à Monaco, à Londres et à Paris, et vous vous imaginez sans doute que vous êtes hors d’atteinte”, aurait dit l’un d’eux.

La requête indique que Pougatchev a été menacé de mort sur son yacht s’il refusait de payer 350 millions de dollars à Mirochnikov et à Roman Trotsenko (qui occupait à l’époque le poste de président des chantiers navals d’Etat Obiédinennaïa sudostroitelnaïa kompania; cette société était en train de racheter à la Banque centrale les chantiers ayant appartenu à Mezhprombank – note de la rédaction). A la date de la présente publication Trotsenko n’a pas pu être joint par téléphone ou SMS par le correspondant de The Bell.

Dans l’entretien avec The Bell Sergueï Pougatchev donne son interprétation de la proposition qui lui avait été faite. Il était convenu avec la Banque centrale et le gouvernement de la cession de ses actifs navals. Plusieurs scenarios étaient envisagés: on lui proposait, par exemple, d’acquérir une banque de taille moyenne, à laquelle la Banque centrale aurait octroyé un prêt d’un montant correspondant à la valeur des actions détenues; la banque aurait fait défaut sur le prêt, et l’affaire était réglée. Mais en fin de compte le plan a changé: il a été décidé d’octroyer un prêt à Mezhprombank, dont Pougatchev devait se porter caution, avec un nantissement de ses actifs navals en garantie. L’estimation de la valeur des actifs était régulièrement revue; le montant retenu en fin de compte était de 3,5 milliards de dollars.

Presqu’aussitôt après la conclusion de l’affaire Mezhprombank a perdu sa licence et, à l’issue de plusieurs actions en justice, les actifs nantis ont été mis en recouvrement. Les 350 millions de dollars devaient être, selon Pougatchev, une rémunération versée à ASV et à Mirochnikov pour qu’ils contestent la transaction. Pougatchev a refusé de payer, pour la raison qu’ils “devaient contester la transaction de toute manière, c’est leur travail”. Selon lui, si la transaction avait pu être contestée, une partie des actions serait restée acquise à la Banque centrale au titre de la dette de Mezhprombank, mais le reste aurait été reversé à la masse de faillite, et il en aurait “recouvré au moins une partie en tant que garant”. “Leur proposition c’était comme s’ils m’avaient dit: tu as pour cent mille dollars de mobilier dans ton appartement; tu nous donnes dix pour cent, et on ne va pas incendier ton appartement”, explique l’ancien banquier. “Ils ne me proposaient pas un marché, ils ne garantissaient rien, il voulaient simplement extorquer de l’argent.”

Selon Pougatchev, il aurait appris l’identité de Mirochnikov un an seulement avant l’épisode sur le yacht; ils ne s’étaient jamais croisés auparavant. Après le retrait de la licence bancaire de Mezhprombank Pougatchev a commencé à recevoir des coups de fil d’ASV lui proposant de rencontrer Mirochnikov, raconte le banquier à The Bell.

Pougatchev aurait laissé toutes ces propositions de “coopération” sans réponse.

Bachmakov et Dounaïev ont été mis en examen en 2012 dans une affaire à retentissement impliquant la vente d’immeubles historiques dans le centre de Moscou. Le montant total des fonds détournés était estimé à 10 milliards de roubles. Bachmakov occupait à ce moment-là un poste à l’Agence de garantie des dépôts, et Dounaïev était directeur de l’entreprise de gestion Proïekt; d’après l’enquête ils se seraient approprié 120 immeubles et bâtiments, dont 28 étaient classés monuments historiques. Presque tous les prévenus ont d’abord été placés en détention; certains, dont Dounaïev, étaient recherchés. Toutefois deux ans plus tard, en 2014, le tribunal a retourné l’affaire à la Procurature et les prévenus ont été libérés. Malgré cela Aleksandr Dounaïev, contre lequel un avis de recherche international avait été lancé, a été arrêté en Israël.

 

“Encore un émissaire de Mirochnikov”: une conversation à Paris

 

Une autre personne figure également dans les pièces fournies au Tribunal de Paris et à la Haute Cour de Londres: un certain Gore Khétchoïan, homme d’affaires, que Pougatchev désigne comme un “émissaire de Mirochnikov”. Selon Pougatchev c’est l’ancien vice-maire de Moscou, Vladimir Réssine, député de la Douma à l’époque des faits, qui lui aurait conseillé par téléphone de rencontrer Khétchoïan. C’est précisément Khétchoïan qui a organisé l’entrevue qui eut lieu sur le yacht: en mai 2011 il est venu en France et a promis à Pougatchev d’organiser une rencontre avec Mirochnikov. Mais le jour indiqué c’est Dounaïev, Bachmakov et Khétchoïan lui-même qui se sont présentés.

En janvier 2012 Pougatchev et Khétchoïan se sont revus, cette fois-ci à l’hôtel George V à Paris à quelques centaines de mètres de l’Arc de Triomphe. Khétchoïan est revenu à la question des 350 millions au nom d’ASV. L’enregistrement de cette conversation (dont The Bell dispose également) fait aussi partie des pièces a conviction dans l’affaire diligentée contre Mirochnikov en France. En voici un extrait:

Sergueï Pougatchev (SP): Ecoute, j’ai une question pour commencer. […] Ce Micha, qui est-ce?

Gore Khétchoïan (GK): Bachmakov, […] d’ailleurs c’est son sobriquet “Bachmak”.

SP: Et qui est-il? Il est employé là-bas [à ASV]?

GK: Oui, officiellement. […] Le deuxième qui était là, c’est Sacha Dounaïev. Dounaïev, c’est une sorte de structure qui leur sert à évacuer les actifs. […] Ils y ont une société, bien établie […] pour ce que j’en ai compris, ils passent en revue les banques, puis, parfois, ils les escroquent.

SP: Oui, je comprends. Un petit business, pour ainsi dire.

GK: Donc on a les protagonistes, d’accord? Ça c’est Marina [Zinoviéva, adjointe du vice-directeur d’ASV à la date des faits] et Valéra [Valériy Mirochnikov].

SP: Et ces gars-là [Dounaïev et Bachmakov], c’est Valéra qui les contrôle, ou bien non?

GK: Oui, eux c’est Valéra.

 

“Les personnes indéterminées pourraient être déterminées rapidement”. Apparition du colonel du FSB Tcherkaline

 Actuellement Khétchoïan, qui a été déclaré en faillite il y a peu, dirige l’équipe de basketball “Dynamo” (traditionnellement associé au FSB); le conseil de surveillance de “Dynamo” compte parmi ses membres Nikolaï Patrouchev (directeur actuel du FSB – note du traducteur). Mais les liens de Mirochnikov avec les services ne se limitent pas à cela, selon l’avis de Sergueï Pougatchev. Assez rapidement après l’entrevue sur le yacht, en 2012, les représentants de Pougatchev à Moscou ont été contactés par des membres de la section “K” du FSB. Aux dires de Pougatchev il y avait parmi eux Kirill Tcherkaline et Dmitry Frolov (les deux ont été placés en détention en avril de cette année dans le cadre d’une affaire d’escroquerie à grande échelle et de corruption). Quant à Mirochnikov, immédiatement après l’arrestation de Tcherkaline il a quitté la Russie.

Extrait: “A l’époque une enquête pénale avait été ouverte pour détournement des fonds de Mezhprombank contre un groupe de personnes indéterminées. On m’a clairement fait comprendre que ces personnes indéterminées pour être déterminées très rapidement et que je pourrais en faire partie”, raconte Pougatchev.

On aurait fait voir au représentant de Pougatchev, selon ses propres dires, “un projet de plainte pénale, où il ne restait plus qu’à inscrire la date et apposer une signature”. Pour que cela ne se produise pas, les gens du FSB auraient réclamé 20 millions.

Pougatchev déclare avoir refusé de payer et, en conséquence, il a été effectivement mis en examen dans l’affaire de faillite de Mezhprombank. En outre, dans ses conversations avec les représentants de Pougatchev Tcherkaline aurait mentionné Mirochnikov, en faisant référence à “Valéra et moi”; mais il aurait également sous-entendu que, tout en étant liés, ils pouvaient, en cas de besoin, agir indépendamment l’un de l’autre.

Dans son entretien avec The Bell Pougatchev a ajouté que de telles propositions de la part de Tcherkaline ont continué à lui parvenir jusqu’à récemment.

“Les dépositions de Pougatchev ne contiennent pas un gramme de vérité”. Témoignages de Mirochnikov devant la justice

Mirochnikov a témoigné devant la cour de Londres (dépositions dont dispose The Bell). Il y a affirmé que les “dépositions de Pougatchev ne contiennent pas un gramme de vérité”. Toutefois, de son propre aveu, Mirochnikov aurait bien rencontré Khétchoïan au sujet d’un “éventuel rachat et utilisation des actifs versés à la masse de faillite de la banque gérée par ASV”. Mais ces entrevues étaient sans aucun rapport avec Pougatchev, a-t-il affirmé. Mirochnikov a également confirmé connaître personnellement Bachmakov et Dounaïev. En revanche ASV n’aurait jamais envoyé Bachmakov en mission à l’étranger (où a eu lieu l’entrevue sur le yacht); quant à Dounaïev, Mirochnikov n’a pas été en contact avec lui depuis “plus de deux ans”. Ainsi, en octobre 2014 Mirochnikov a déclaré au tribunal qu’il ignorait tout de leurs négociations avec Pougatchev.

Après la démission et le départ à l’étranger de Mirochnikov, ce dernier est resté injoignable par téléphone. Selon les données publiées par Kommersant, Mirochnikov serait mis en examen dans l’affaire du colonel du FSB Kirill Tcherkaline, ce dernier ayant été arrêté au mois d’avril en possession de la somme de 12 milliards de roubles en espèces. Il est mis en examen pour escroquerie à grande échelle.

 

La faillite de Mezhprombank et les accusations portées contre Pougatchev

En 2010 Mezhprombank s’est vu retirer sa licence bancaire, et Pougatchev a fui la Russie.

D’après l’enquête, les prêts octroyés à Mezhprombank par la Banque centrale pour un montant de 32 milliards de dollars auraient été détournés à travers un montage de sociétés off-shore (Pougatchev, lui, affirme avoir uniquement transféré ses propres fonds depuis son compte correspondant à la banque VTB et conteste également le montant en cause).

A la suite d’une requête introduite par ASV, le tribunal de commerce de la ville de Moscou a condamné Pougatchev et les ex-gérants de la banque à la responsabilité subsidiaire pour le passif de Mezhprombank pour un montant de 76 milliards de roubles.

Le comité d’enquête a accusé Pougatchev de détournement de fonds à grande échelle et d’abus de pouvoir. Sergeï Pougatchev est recherché par la justice et condamné à une peine de prison par contumace.

A la suite d’une requête introduite par ASV devant la Haute Cour de Londres, la justice anglaise a ordonné le gel des avoirs internationaux de Pougatchev pour un montant de 2 milliards de dollars; certains de ces avoirs ont déjà été vendus. Ainsi, par exemple, en 2018 le tribunal a ordonné la saisie de l’hôtel particulier de Sergueï Pougatchev à Londres, estimé à près de 9 millions de livres sterling. ASV affirme que le produit a été versé dans la masse de faillite.

Le tribunal a également assigné Pougatchev à résidence en Angleterre et Pays de Galles, mais Pougatchev a pu quitter le territoire britannique pour la France. Il explique sa fuite par le danger de mort auquel il était exposé en Angleterre. La Haute Cour a également condamné Pougatchev à deux ans d’emprisonnement pour outrage au tribunal.

 

Quelle suite?

 Les pièces de l’affaire “française” contre Mirochnikov et les autres représentants d’ASV sont actuellement examinées par le juge d’instruction (l’équivalent français de l’enquêteur en Russie), rapporte Pougatchev. Il dit qu’en septembre 2019 la commission d’enquête doit décider de renvoyer ou non l’affaire devant le tribunal; le cas échéant, Mirochnikov risque d’être requalifié en suspect.

A la fin de la lettre adressée à Poutine, Pougatchev mentionne que les liens personnels de longue date qui l’unissent au président russe sont “l’unique recours pour garantir une enquête équitable en Russie”. En réalité la lettre n’a rien changé à l’affaire, avoue Pougatchev. Elle est restée sans réponse.

La prochaine audience à La Haye dans l’affaire d’arbitrage est prévue pour le mois de novembre 2019.

 

Anastasia Stogney, avec Valéria Pozytchaniouk

Sergueï Pougatchev, heureux comme un ex-oligarque russe en France

Le TGI de Nice vient de donner raison à l’ex-oligarque russe naturalisé français Sergueï Pougatchev contre l’Agence russe pour l’assurance des dépôts, qui prétendait saisir ses biens dans l’Hexagone. De quoi faire dire à l’ex-patron d’Hédiard qu’il a bien fait de s’exiler en France, lui qui s’affirme victime de persécution du Kremlin. Rencontre.

Il vit retranché, sous la protection de gardes du corps, dans sa luxueuse résidence niçoise – le très cossu Château 1900 de Gairaut, niché sur une colline, avec vue imprenable sur la Baie des Anges. Retranché, mais heureux, l’ex-flamboyant entrepreneur, surnommé au temps de Eltsine « le banquier du Kremlin », Sergeï Pougatchev savoure sa victoire. « On ne saurait trop insister sur l’importance de cette décision du tribunal français. Elle n’a pas de précédent dans la mise en lumière de l’arbitraire en vigueur en Russie, où le régime de Poutine a pratiquement détruit tout le système judiciaire qu’il utilise pour harceler ses ennemis personnels et ceux de son entourage», s’enflamme l’ex-oligarque, naturalisé français en 2009, depuis le bar d’un grand hôtel niçois.

Le TGI de Nice a débouté l’Agence pour l’assurance des dépôts (AAD) qui réclamait la saisie des biens de Sergueï Pougatchev sur la Côte d’Azur – outre le château de Gairaut, un chalet dans la station ski de Valberg, un yacht et des propriétés à Saint-Jean-Cap-Ferrat. « Le recouvrement auprès de M. Pougatchev de plus d’1 milliard de dollars a été rendu en violation flagrante de tous les droits de la défense. Illégale en Russie, cette décision ne peut entraîner aucune conséquence juridique au-delà de ses frontières », assure Me Anne-Jessica Fauré, l’avocate de M. Pougatchev. Sollicitée pour un entretien, Me Christelle Coslin, représentant l’AAD, s’est contentée d’indiquer par mail que son client « fera appel de la décision rendue le 29 janvier 2019 ». Une réaction que Sergueï Pougatchev accueille d’un haussement d’épaules : « Les avocats ont toujours intérêt à faire appel… Mais dans le jugement moscovite, les irrégularités sont nombreuses », rétorque-t-il.

Sosie d’Alexandre III

Grand, mince et élégant, d’une ressemblance frappante avec le tsar Alexandre III, Pougatchev, orthodoxe pratiquant et père de cinq enfants, est aux antipodes du profil habituel des nouveaux riches russes. Cultivé, cet observateur attentif de l’actualité politique, en France comme en Russie, est devenu un critique virulent du régime moscovite. Il tutoyait pourtant Vladimir Poutine, son voisin de datcha, et leurs enfants se fréquentaient. Mais ça, c’était avant… Aujourd’hui, il dit voir en lui « un personnage sans avis ni convictions, prêt à tout pour rester au pouvoir. Otage de son entourage, jaloux de la réussite des autres, il se rallie toujours à l’avis de la majorité. J’étais le seul à le critiquer, et il ne me l’a pas pardonné », prétend-il, dans un soupir.

Ce qui est certain, c’est que notre homme a beaucoup perdu. Depuis la faillite, en 2010, de la banque Mejprombank qu’il avait cofondée en 1992, Pougatchev a été contraint, entre 2010 et 2014, à vendre à vil prix à des proches du Kremlin tous ses avoirs en Russie — notamment les chantiers navals à Saint-Pétersbourg, pressentis pour construire le fameux Mistral, un complexe immobilier près de la place Rouge et une mine de charbon en Sibérie. « Une expropriation pure et simple », selon lui.

Ancien sénateur

Depuis 2014, l’AAD le poursuit jusqu’en Angleterre et en France, l’accusant d’avoir « siphonné » à son profit un prêt de 1,15 milliard de dollars, accordé par la Banque centrale à sa banque pour la renflouer. Des accusations que l’ex-banquier nie farouchement –arguant de son retrait de Mejprombank dès 2001, lorsqu’il a été élu sénateur de Touva. Pour lui, ces poursuites sont en fait la réponse du Kremlin à la plainte qu’il a déposée en2015 – trois ans après avoir renoncé à la citoyenneté russe — auprès de la Cour d’arbitrage de La Haye : s’estimant spolié, il réclame 12 milliards d’euros à la Fédération de Russie.

La victoire obtenue devant le TGI de Nice réjouit d’autant plus le néo-châtelain niçois qu’Outre-Manche, de récentes décisions de justice lui ont été tout sauf favorables. En effet, après son départ de Russie en 2011, l’AAD avait obtenu de la Haute Cour de Londres le gel de ses avoirs en Grande-Bretagne. L’accusant d’« outrage à la cour », pour lui avoir dissimulé certains de ses avoirs, la Haute Cour le condamnait à la peine maximum de deux ans de prison. « C’est absurde ! Absent de Londres, je n’ai pas pu me défendre », plaide Pougatchev.

Entre temps, le nabab déchu avait en effet quitté Londres pour la France, invoquant des craintes pour sa sécurité, suite à la découverte d’engins suspects sous sa voiture. Il réside depuis lors à Nice et se consacre à la gestion de ses affaires judiciaires. « En Angleterre, la justice n’est pas indépendante. Elle est comme sourde et aveugle, c’est une machine à consommer des frais d’avocats », déplore-t-il. Pis, « loin d’être le paradis démocratique que j’imaginais, et en dépit du froid diplomatique anglo-russe, l’influence du Kremlin est grande à Londres, via les nombreuses grosses fortunes russes qui y vivent avec femmes, enfants et avoirs ». Le Français d’adoption assure donc ne pas regretter la capitale britannique. « J’y allais car mes trois plus jeunes enfants y vivent. »

“Liste noire du Kremlin”

« En France, il y a une justice », poursuit-il. S’y sent-il pour autant en sécurité ? « Je suis sur la liste noire du Kremlin et ne peux donc me sentir nulle part en sécurité. Mais je me sens ici chez moi. Je m’y suis installé avec ma famille en 1994, après quelques années aux Etats-Unis. Mes parents sont enterrés ici, ma sœur y vit, mes fils aînés y ont grandi et mes cinq petits-enfants y sont nés », énumère-t-il.

Plus à l’aise en anglais que dans la langue de Molière, Pougatchev n’en est pas moins féru de l’art de vivre hexagonal. En revanche, ses affaires engagées sur notre territoire ne lui ont pas porté chance. Pas plus qu’aux employés de l’épicerie de luxe Hédiard, rachetéeen 2007, et du quotidien France-Soir, acquis deux ans plus tard et dont il avait confié la gestion à son fils cadet Alexandre : les deux entreprises ont périclité. « J’ai investi 150 millions d’euros dans Hédiard, et développé la marque dans le monde entier. Mais quand Poutine, qui a toujours été hostile à ce projet – il m’a plusieurs fois reproché de ne pas investir en Russie – a fait geler mes comptes, j’ai dû me retirer, à mon grand regret. » A l’écouter, Poutine serait responsable d’absolument tous ses malheurs. Et pour France-Soir aussi ? « C’était le projet de mon fils, qui voulait en faire une version uniquement digitale, mais l’équipe ne l’a pas suivi », balaye-t-il.

Symbole de l’argent fou capté après la chute du Mur de Berlin, Pougatchev, qui se revendique macroniste, n’en considère pas moins avec bienveillance le mouvement des Gilets jaunes. « C’est la démocratie directe : les gens manifestent, s’expriment et sont entendus, lors de débats organisés. C’est absolument impensable dans la Russie poutinienne ! » Poutine, encore et toujours. Qui sait, peut-être que les années passées dans cette France qu’il dit tant apprécier finiront-elles par lui faire oublier ce cher Vladimir ?

Source…

La Russie veut liquider les biens du milliardaire russe sur la Côte d’Azur… Il gagne une première bataille judiciaire

Un juge civil niçois a déclaré nulle, ce mardi, l’assignation de l’Agence pour l’assurance des dépôts (AAD) qui réclamait, entre autres, la saisie sur la Côte d’Azur des biens du milliardaire russe Sergueï Pougatchev, 56 ans.

L’oligarque, ancien propriétaire en France des épiceries fines Hediard et du quotidien France soir, possède le château de Gairaut à Nice, un chalet à Valberg, un yacht et des propriétés à Saint-Jean-Cap-Ferrat.

Sergueï Poutachev, jadis surnommé le banquier d’Eltsine, ancien capitaine d’industrie omnipotent, se plaint désormais de figurer sur la liste noire du président Poutine.

Depuis la déconfiture en 2010 de la banque Mejprombank, fondée par l’oligarque en 1990, la justice russe lui réclame 1,14 milliard d’euros. Le tribunal de commerce de Moscou espère l’exequatur (c’est-à-dire l’exécution) de ce jugement en France.

>> RELIRE. Château de Gairaut, chalet à Valberg, super yacht, propriétés au Cap-Ferrat… La Russie veut saisir les biens d’un milliardaire russe sur la Côte d’Azur

L’agence russe déboutée

Cela paraît mal engagé. Le tribunal de grande instance de Nice a débouté l’AAD. « C’est une agence gouvernementale. Elle n’a pas le pouvoir de représenter la banque en cours de liquidation, enfonce Me Anne-Jessica Fauré. Cet organisme n’a pas le pouvoir d’intenter une action contre mon client en France. » Le conseil de Sergueï Pougatchev qualifie l’agence de « bras armé » de Vladimir Poutine.

“Décision illégale en Russie”

L’avocate parisienne dénonce une procédure aux arrière-pensées politiques : « On reproche la faillite de la Mejprombank à M. Pougatchev qui n’était plus dirigeant depuis 2003. La personne qui l’accuse d’avoir été le dirigeant de fait a été, comme par hasard, non seulement libéré mais embauché dans une autre banque. »

Dans un communiqué diffusé ce mardi soir, les communicants de l’oligarque contre-attaquent : «Toutes les procédures judiciaires des autorités russes ne sont rien d’autre que des tentatives de la Russie d’empêcher l’examen de la plainte de M. Pougatchev contre la Russie devant [la cour arbitrale] de La Haye [Pays-Bas]

“violation flagrante de la législation”

Le service de presse souligne que « le recouvrement auprès de M. Pougatchev de plus d’1 milliard de dollars a été rendu par un juge unique et non par trois juges, en violation flagrante de la législation. Cette décision est donc illégale en Russie et ne peut entraîner aucune conséquence juridique au-delà de ses frontières. »

Le 21 septembre 2015, l’homme d’affaires retiré à Nice a intenté une action contre la Fédération de Russie pour dénoncer « l’expropriation de ses actifs par le pouvoir russe au début des années 2000. »

Le cabinet d’avocats Betto Serglini réclame au nom de l’oligarque plus de 10 milliards d’euros. Une bataille vient de se terminer à Nice mais la guerre Pougatchev-Poutine est très loin d’être close.

Source…

La guerre entre l’oligarque Pougatchev et Poutine s’importe à Nice

RÉCIT – L’homme d’affaires est aujourd’hui menacé par la Russie de la confiscation de tous ses biens en France. Rencontre avec un oligarque déchu.

À Nice

Nous étions prévenus qu’il n’était pas forcément ponctuel. C’est donc avec presque deux heures de retard que Sergueï Pougatchev a fait son entrée dans le lobby du Palais de la Méditerranée en ce soir d’orage de la fin décembre. Il ne traîne pourtant pas derrière lui la réputation détestable de certains de ses ex-compatriotes russes en villégiature sur la Côte d’Azur. Très élégant en jean et blazer bleu, chemise à rayures et mocassins en croco, l’homme à la barbe bien taillée se prête sans broncher à la séance photo dans le hall de cet hôtel de la promenade des Anglais, avant de se replier pour l’entretien, son garde du corps jamais très loin, dans un salon feutré à l’étage.

Le 29 novembre, le nom de Sergueï Pougatchev, 55 ans, est réapparu sous les radars, au tribunal de grande instance de Nice. Ses avocats sont venus y plaider un recours en nullité et un sursis à statuer dans la procédure que lui intente la Fédération de Russie pour la faillite de sa banque, la Mejprombank, en 2010. …

S. Pougatchev parle de l’arrestation de Khodorkovsky, des origines du business Russe en Grande-Bretagne, et des tribunaux londoniens.

“Je lui avais recommandé de quitter la Russie avec l’argent”. L’ex-conseiller de Poutine, Sergueï Pougatchev, parle de l’arrestation de Khodorkovsky, des origines du business russe en Grande-Bretagne et des tribunaux londoniens. 

 

Il y a 15 ans, le 25 octobre 2003, Mikhaïl Khodorkovsky a été arrêté. A cette époque, en 2003, Sergueï Pougatchev n’était pas un émigré en exil, comme aujourd’hui, mais le banquier de confiance et un proche de Vladimir Poutine. La semaine passée, Pougatchev a été contraint par la Haute cour de Londres de vendre son hôtel particulier londonien pour payer les créanciers. Les intérêts de ces derniers sont représentés par l’agence russe de garantie des dépôts, autrement dit, par ce même Etat dont Pougatchev fut jadis si proche. Mikhaïl Fischman s’est entretenu avec Pougatchev au sujet de son procès, de la situation actuelle des oligarques russes en Occident et de cette journée historique du 25 octobre 2003.

 

Sergueï, dites-nous s’il vous-plaît, comment devons nous comprendre la décision de justice? A-t-elle été rendue ou non? Est-ce que votre maison de Londres est confisquée ou non? La requête des plaignants russes, à savoir l’Agence de garantie des dépôts, a elle été satisfaite par le tribunal ou pas? Expliquez-nous.

Bonsoir, Mikhaïl. A ce moment précis, à ce jour, il n’existe pas de décision finale, aucune décision officielle. Quelque chose a été annoncé en audience, mais je n’ai malheureusement pas pu participer à l’audience à cause d’un refus opposé par le juge. Pendant un certain temps, deux bonnes heures, le magistrat et la cour, qui était tenue de mettre en place un lien vidéo, nous faisait savoir qu’il y avait certains problèmes techniques, puis on nous a finalement dit que le juge refusait de m’entendre, malgré ma qualité de premier défendeur dans ce procès.

Et donc? Qu’en est-il en fin de compte? Qui a gagné, finalement? Qui gagne à ce jour? Vous perdez?

C’est une question compliquée. Il n’y a pas encore de décision, je le répète. La vraie question ici, ce n’est pas de savoir si l’on gagne ou si l’on perd; je ne sais pas quelle sera la décision finale, mais la vraie question c’est que, à proprement parler, l’Agence de garantie des dépôts, qui représente la Fédération de Russie, poursuit, pour ainsi dire, l’expropriation, qui a commencé à la date mémorable, il y a quinze ans, par l’expropriation des actifs de IOUKOS. De fait, c’est cela qui se poursuit. Simplement les formes ont un peu évolué entre-temps, cela passe désormais par une manipulation de la justice occidentale, en particulier britannique. Parce que la Haute Cour de Londres, est très aimée, pour ainsi dire, non tant par les Russes, je dirais, mais par la Fédération de Russie qui l’aime beaucoup.

Je vous reposerai la question séparément, mais dans votre mémoire en défense – le voici, je l’ai sous les yeux – vous dites sans détours que vous êtes persécuté en Russie pour des motifs politiques,  qu’on veut vous spolier de vos actifs pour des raisons politiques, vous prendre des avoirs qui, d’une façon ou d’une autre, vous appartiennent. Il semblerait que l’Occident, aujourd’hui, selon une logique commune – l’Occident et en particulier la Grande-Bretagne, la justice britannique, en l’occurence – devait être de votre côté. Or, cela ne semble pas être le cas.

Je ne suis pas tout à fait d’accord. Ce qui se passe au niveau médiatique, pour ainsi dire, et les accusations mutuelles échangées au plus haut niveau, tout cela n’a rien à voir avec le système judiciaire, ni avec les activités économiques, rien du tout. Il faut bien comprendre qu’en Grande-Bretagne, spécifiquement – à la différence de la France, par exemple, qui se conforme au droit civil – c’est le règne de la common law anglo-saxonne; autrement dit ce sont les avocats les plus onéreux, c’est un business qui se chiffre en milliards. Et c’est quelque chose qu’on ne va pas faire bouger simplement à cause de relations de politique extérieure entre le Royaume-Uni et la Russie. Je pense que cela prendra des années, voire des décennies.

Donc, si je vous ai bien compris, il s’agit de deux processus parallèles, en quelque sorte, n’est-ce pas? D’une part les autorités britanniques prononcent des déclarations, parlant de mettre une pression sur les hommes d’affaires de l’entourage de Vladimir Poutine, de rechercher les entrepreneurs coupables de corruption, parmi ceux qui se sont installés chez nous, au Royaume-Uni, de les… Et d’ailleurs on voit que ce processus est entamé, nous le voyons à certaines décisions. D’un autre côté, on satisfait des requêtes visant des hommes d’affaires comme vous, dans lesquelles la Fédération de Russie, dans tel ou tel avatar, est plaignante.

Oui, dans ce cas précis elle est plaignante. Et il faut bien se dire que ces accusations réciproques, même si l’on oublie les assassinats de citoyens britanniques sur le sol du Royaume-Uni, n’agissent pas si vite. Nous voyons qu’après l’adoption de la loi sur la vérification de l’origine des fonds dans les cas de montants supérieur à 50 mille livres, seules trois demandes d’information ont été adressées à ce jour, pour autant que je sache.

Bien sûr, la Grande-Bretagne, dans le contexte du Brexit et pour maintes autres raisons, est intéressée à la présence de capitaux. Elle n’a pas envie de faire fuir les investisseurs, ou même les déposants qui restent, ces gens qui ont des fonds au Royaume-Uni, dans les banques britanniques et ainsi de suite. Bien sûr, il y a la chute des prix de l’immobilier et tout le reste, toute cette rhétorique a déjà joué son rôle. Mais, évidemment, cela n’affecte pas les décisions de justice, les agissements des avocats.

Le cabinet Hogan Lovells collabore avec la Russie depuis longtemps. Ils l’ont d’ailleurs confirmé lors de l’interrogatoire, c’est leur seul business, ils ne peuvent pas, par un tour de passe-passe, se procurer d’autres clients. Et donc ils continuent. Il y a un élément intéressant, une question qui a été posée par le juge Wilson au partner du cabinet Hogan Lovells, Mike Roberts: combien il avait reçu pour cette audience. Ce dernier a dit: dix millions de livres sterling, au moindre mot. C’est un chiffre assez impressionnant, et le plus intéressant, c’est que nous n’avons pas réussi à trouver la ligne budgétaire, car c’est censé être une information ouverte de l’Agence de garantie des dépôts, qui devait financer ces dépenses.

C’est curieux. Dans ce même mémoire en défense vous écrivez que vous avez été visés par des attentats, que votre vie a été menacée. Y a eu des tentatives d’assassinat, vous êtes sur la même liste avec d’autres ennemis jurés du régime politique en Russie. Mais cela n’influe donc pas sur la position de la justice britannique, n’est-ce pas? Ce n’est nullement pris en compte dans ce procès, pour autant qu’on puisse en juger?

Absolument pas pris en compte, non. Lorsqu’il y a eu un attentat, de fait, en Grande-Bretagne, en 2015, il a été constaté par la section de lutte anti-terroriste de Scotland Yard, outre moi-même, et une affaire pénale a été diligentée, qui est actuellement en cours d’instruction en France. L’instruction se déroule en France. La Grande-Bretagne, après que j’ai quitté le territoire britannique pour revenir en France, a classé cette affaire. Définitivement classé, en dépit du fait que le crime avait été commis sur le territoire britannique. Donc non, ce n’est absolument pas pris en compte.

Vous écrivez, je cite directement, vous écrivez dans votre mémoire en défense, que “le régime russe a poussé de profondes racines dans les pays occidentaux, y compris l’Angleterre; que près de 300 mille personnes, parmi les plus fortunées de Russie, vivent ou ont placé leurs actifs en Grande-Bretagne, ce qui témoigne de l’influence considérable que Poutine exerce sur ce pays”, fin de citation. Est-ce que la situation évolue? L’influence de Poutine sur ce pays, telle que vous la décrivez… ? Les choses ont quand même l’air de beaucoup bouger, surtout depuis la fin mars, lorsque l’affaire Skripal a fait surface et a pris de la notoriété. C’est une situation qui change, selon vous, ou pas?

Je ne pense pas, non. Je pense que la situation ne change pas, et je pense qu’elle n’a pas changé. Elle n’a pas changé, elle était déjà comme cela, rappelez-vous l’affaire Litvinenko: il a fallu dix ans à sa veuve pour convaincre la justice de ne pas examiner cette affaire à huis-clos.

Je me souviens très bien. D’ailleurs je me souviens avoir lu dans la presse britannique des critiques acerbes du Ministère de l’intérieur, avec à sa tête l’actuel Premier ministre du Royaume-Uni… Ces critiques dénonçaient la lenteur de l’instruction et tout cela, et cela avait eu à l’époque une forte résonance.

Oui, au niveau politique cet échange d’accusations désagréables va évidemment se poursuivre; il faut bien se rendre compte que c’est de la politique, il y a les enjeux électoraux et tout le reste. Naturellement cela va continuer. Mais au niveau pratique, si vous voulez, cela n’a pas d’incidence. Nous savons qu’un nombre colossal de fonctionnaires, leurs enfants, dont la fortune se compte en milliards, vivent et ont des avoirs, des propriétés immobilières en Grande-Bretagne. A ce jour il n’y a toujours pas eu de revirement sensationnel.

Le fait que Bérézovsky, puis maintenant Khodorkovsky et quelques autres se soient trouvés ou se trouvent encore en Grande-Bretagne, c’est assez exotique. C’est très modeste, par comparaison avec les quelque trois cents mille personnes, parmi les plus riches, qui puisent leur revenu en Russie et dépensent cet argent au Royaume-Uni.

Oui, évidemment, je comprends très bien. Simplement il me semble que politiquement il y a une différence claire aujourd’hui. A l’époque, avec l’affaire Litvinenko, il y a eu un gel des relations diplomatiques, il y a eu des conséquences diplomatiques, mais l’affaire, comme vous venez de le dire, n’était pas instruite. Aujourd’hui, après l’attentat de Salisbury, les conséquences sont autres: Theresa May est à l’avant-garde de l’attaque menée contre la Russie, elle réclame des sanctions, en appelle aux partenaires européens, etc. Il me semble voir une différence perceptible. Sans doute cela doit-il se manifester aussi dans les pressions exercées contre le business russe corrompu en Grande-Bretagne? Ou pas?

Cela devrait se manifester, mais cela ne s’est pas encore manifesté, en aucune manière. Et je ne pense pas qu’on puisse s’attendre à quelque chose dans un avenir proche. Si quelque chose comme cela survient, je pense que ce sera une véritable sensation. Nous savons que des amis de Poutine, des gens qui ont amassé des fortunes immenses en Russie, continuent de vivre heureux et tranquilles en Grande-Bretagne et ont d’ailleurs des contacts avec l’élite dirigeante. Regardez: le Times a récemment écrit dans un article que de nombreux représentants de l’élite britannique font du lobbying pour améliorer les relations avec la Russie. Cela veut dire que pendant ces années, pendant les quelque vingt ans du règne de Poutine, la Russie a tellement renforcé ses positions en Grande-Bretagne, que ce n’est pas une déclaration de Theresa May qui va briser quelque chose, c’est pratiquement impossible.

Encore une citation. Vous dites: “Poutine m’a personnellement parlé de son intention d’acquérir le club de football Chelsea, pour accroître son influence et améliorer l’image de la Russie, non seulement auprès des classes dirigeantes mais aussi auprès du citoyen britannique ordinaire”. Vous voulez, vraisemblablement, parler du début des années 2000, vers 2002-2003, n’est-ce pas?

Oui, avant l’acquisition…

Oui, avant que Roman Abramovitch n’achète le club Chelsea. On entend actuellement des rumeurs, comme quoi il serait actuellement obligé de la vendre. Même si Sky News vient de démentir cette information, les rumeurs se multiplient, on voit apparaître des prétendants à l’achat. Mais donc, cela aurait été une histoire politique dès le début, c’est cela que vous voulez dire?

Indéniablement, oui. Je pense que c’était une sorte d’opération spéciale pour s’intégrer dans la société britannique, mais non plus au niveau de l’élite dirigeante, mais, comme l’a dit Poutine, pour améliorer l’image de la Russie et les relations avec l’anglais lambda. Poutine estime que l’opération a été un succès, et je pense qu’il faut lui donner raison: cela a assez bien marché, cette intégration “par centres d’intérêt”, pour ainsi dire. En effet, les Anglais adorent le football, et cela a plutôt bien fonctionné.

Oui, mais maintenant on se retrouve dans une situation où il est au contraire question qu’Abramovitch se sépare de Chelsea. Et donc, quelle impression cela vous fait?

Je pense que c’est lié, avant tout, sans doute, à sa situation personnelle. Comme ci ou comme ça, il en reste le propriétaire. Nous savons qu’il a eu un certain nombre de problèmes, son visa n’a pas été renouvelé, il a obtenu la nationalité israélienne, etc. Cela a vraisemblablement compliqué la communication avec le Royaume-Uni et le club de football. Puis il y a la situation financière, ça joue aussi. Et la politique d’isolement que poursuit la Russie, cela donne, en somme, ce résultat: que c’est en partie déjà une décision personnelle d’Abramovitch. Je ne sais pas dans quelle mesure c’est confirmé, s’il s’apprête véritablement à vendre, mais je pense que ce serait logique. Aujourd’hui même la possession de Chelsea ne va pas améliorer l’attitude envers la Fédération de Russie, ces coups de pub ne marchent plus.

Je voudrais néanmoins vous reposer la question: le grand business russe… Bon, il y a les fonctionnaires… enfin, des gens, des personnalités… qui ont de l’argent placé en Occident. Ils veulent le garder là-bas. Mais le grand business, les géants économiques russes – eux sont maintenant beaucoup moins à l’aise pour travailler à l’Ouest. Ou bien ce n’est pas le cas, la situation reste tenable et il n’est pas encore urgent de se rapatrier?

La situation est devenue notoirement plus compliquée pour le grand business russe, les hommes d’affaires qui font partie de ce fameux cercle de Poutine, son entourage proche – or ce sont de très grandes entreprises, peu importe publiques ou privées. Bien sûr que la situation est plus compliquée. Au niveau moyen elle est aussi devenue plus compliquée, d’ailleurs. Tout est devenu compliqué: je parle beaucoup avec des gens, ils ne peuvent même plus ouvrir de compte en banque, ou alors ils voient leurs comptes fermés, malgré un historique impeccable depuis vingt ans, et ainsi de suite. Le fait que les choses deviennent plus difficiles à ce niveau-là, je pense que c’est bien la conséquence du processus d’auto-isolement, de retour en Russie ou l’inverse, ce processus est actuellement très actif.

Vous avez mentionné que cette semaine était une sorte d’anniversaire, une date, quinze ans depuis l’arrestation de Khodorkovsky, le 23 octobre 2003. Un point que moi personnellement, et aussi ne nombreux autres, voient comme un tournant dans les relations entre l’Etat et le monde des affaires en Russie. Un tournant également pour toute la politique russe qui a suivi, pour toute la vie en Russie. Vous étiez à l’époque de l’autre côté des barricades, vous étiez encore à cette époque, si je comprends bien, un allié de Poutine. Aujourd’hui, si vous regardez en arrière, à quel point est-ce que… Que pensez-vous de ce temps-là, de cette époque? Et dans quelle mesure ces difficultés, cet auto-isolement que nous venons d’évoquer, découle directement des décisions prises à ce moment-là, de cette arrestation d’il y a quinze ans?

Tout à fait d’accord, à ceci près que je ne me trouvais pas de l’autre côté des barricades. Je n’étais absolument pas de l’autre côté des barricades, je faisais de la politique, j’étais conseiller de Poutine, mais cela ne signifie pas que j’aie soutenu sa politique à l’égard de IOUKOS. Qui plus est, il ne m’en informait pas, c’était l’affaire des services spéciaux, tout était tenu très secret. Du reste, quand j’avais rencontré Khodorkovsky, nous avions discuté, et le conseil que je lui ai donné a été de quitter la Russie, partir avec l’argent, pour ensuite, éventuellement, pouvoir gérer la situation, aider ses anciens collaborateurs lorsqu’ils se seraient trouvés en situation difficile (et d’ailleurs, c’est ce qui s’est passé).

A cet égard, rien n’a changé. Je m’en tiens au même avis, je pense que ce moment a marqué un tournant et une étape critique dans le développement de la Russie, c’est un fait. Je me souviens des événements, que je voyais, pour ainsi dire, de l’intérieur, en interaction avec Poutine. Poutine n’avait pas le choix, il ne pouvait faire autrement, en tout cas c’est ainsi qu’il voyait la chose. Il ne s’agissait pas de politique, ou de soutien à Khodorkovsky, au parti communiste ou que sais-je encore… Il s’agissait tout bonnement, purement et simplement, d’une décision d’expropriation. Un processus qui a été maintes fois réitéré par la suite.

Peut-être que les cas suivants n’ont pas été aussi marquants ni d’une telle envergure, mais une chose a changé, c’est sûr… Pourquoi se souvient-on aussi bien de ce cas, de l’affaire IOUKOS? Parce que la justice n’était pas encore aussi docile, elle n’était pas intégrée à l’administration présidentielle, si l’on peut dire. Les avocats de IOUKOS, les avocats de Khodorkovsky, avaient encore la possibilité de plaider, de faire entendre une position, et les juges essayaient de travestir, de détourner la législation, mais de rester néanmoins dans le cadre légal. Actuellement, on voit bien que ce n’est plus du tout le cas, que la situation est loin d’être la même. Si l’affaire IOUKOS s’était déroulée aujourd’hui, il n’y aurait eu qu’un ou deux billets dans la presse, et encore…

On n’y aurait simplement pas prêté attention. Mais à l’époque, à vrai dire, du point de vue des motifs d’accusation, depuis l’arrestation de Lebedev en juillet 2003, tout cela avait l’air passablement ridicule d’un point de vue juridique. Et tous les observateurs indépendants voyaient cela très clairement.

Oui, mais l’attention publique était néanmoins rivée sur cette affaire. D’une certaine manière, l’équivalent aujourd’hui c’est l’affaire Sérébrennikov, c’est un cas très similaire. Mais croyez-moi, si la même chose était arrivée aujourd’hui à un homme d’affaires, une grande entreprise, pétrolière ou autre, peu importe, on y aurait accordé à peine quelques minutes au journal de 20 heures, et puis c’est tout – juste le temps d’esquisser la situation. Prenez, du reste, l’affaire des Magomédov, une histoire édifiante.

Oui, oui. C’est tout à fait vrai, on y consacre beaucoup moins d’attention dans la presse. Mais en ce qui vous concerne, on a encore l’habitude de penser que, puisque vous étiez de l’autre côté, puisque vous aviez de bonnes relations avec Poutine, puisque vous apparteniez, en quelque sorte… Je veux dire: vos affaires ont commencé à prospérer lorsqu’il est arrivé à la présidence, votre business allait bon train… On écrivait de vous à l’époque, si j’ai bonne mémoire – je peux, bien sûr, me tromper – que vous étiez en bons termes avec les siloviki dans l’entourage de Poutine, et donc, c’est pour cette raison, qu’ensuite… On avait même tendance à vous démoniser, à l’époque, dans la presse, dans le genre: voyez ce Pougatchev, le banquier-oligarque orthodoxe, qui, de concert avec Poutine, marche sur les plates-bandes de la vieille garde eltsinienne.

C’est une erreur, à n’en pas douter. Il y avait à ce moment-là des guerres d’entreprises, c’était courant à l’époque, c’était une forme d’action. En somme, personne ne voulait que quelqu’un se rapproche davantage de Poutine que les autres, que les autres organisations industrielles et financières, si vous voulez. C’est normal. Mais la question n’est pas là. La question est que j’ai contribué personnellement à l’avènement de Poutine, parce que j’étais encore de l’équipe de Eltsine. Il serait dont tout à fait incongru de dire que j’étais de l’autre côté. D’ailleurs, j’entretiens toujours de bonnes relations avec Tatiana Diatchenko et Valentin Ioumachev. Il faut bien comprendre que ma carrière politique active avait débuté en 1997, au moment de l’élection du président Eltsine.  Donc dire que j’étais de l’autre côté est absolument faux.

L’autre idée que vous venez de mentionner est que mes affaires ont commencé à prospérer après l’arrivée de Poutine au pouvoir. C’est totalement faux. Poutine n’a strictement rien fait. Tout ce que j’avais je l’avais acquis, je n’avais jamais participé à la privatisation, tout avait été acheté pour de l’argent, et ce avant l’arrivée de Poutine au pouvoir. Cela vaut pour le chantier naval de Pétersbourg, le plus grand, et la licence obtenue en 1999 pour l’exploitation du plus grand gisement de charbon à coke du monde, et pour tout le reste. Poutine a au contraire essayé d’accaparer mes avoirs, c’est précisément ce qui s’est passé, pour les donner à son entourage, aux “pétersbourgeois”, à ses copains, ses anciens collègues du KGB, etc.

Pour revenir à l’affaire Khodorkovsky, si je vous ai bien compris, vous pensez qu’il n’y a pas eu de moment critique, de bifurcation, et que Poutine n’avait en fait pas le choix? Que sa décision d’arrêter Khodorkovsky était prédéterminée et que cela n’aurait pas pu se passer autrement?

C’est évident, oui. Je me souviens des détails, de la façon dont c’est arrivé. Ce que j’ai voulu dire, c’est que Poutine n’était pas prêt à agir autrement, c’était la seule voie sur laquelle il était prêt à s’engager. Nous en avions beaucoup parlé, j’étais catégoriquement contre cela, non pas que je fusse un ami proche de Khodorkovsky, bien que nous ayons été en contact étroit depuis la fin des années 80, début 90 – nous étions d’ailleurs voisins, nos maisons et nos maisons de campagne se trouvaient à quelque cinquante mètres l’une de l’autre.

Mais simplement je comprenais que nous étions arrivés à un tournant, qu’il allait casser – à l’époque on pouvait encore le dire – le climat d’investissement. C’était à proscrire absolument, a priori, parce qu’après avoir goûté du sang, il n’allait plus pouvoir s’arrêter. Je sentais que si Poutine comprenait le mécanisme… or, il est fait comme cela… Je me souviens d’un exemple, totalement extraordinaire, lorsqu’il voulait remplacer un fonctionnaire… Et en fin de compte il a dit: tant pis, qu’il reste, et si jamais c’est nécessaire, nous n’aurons qu’à initier une procédure pénale pour le mettre en prison. Voilà, c’est cette même approche qui prévaut aujourd’hui. C’était couru d’avance.

Merci beaucoup pour cet entretien très intéressant. Merci.

Russian billionaire banker forced to sell 9 million £ Chelsea mansion

Russian countess faces eviction as her billionaire banker ex who claims to be on a Putin death list is forced to sell £9million Chelsea mansion after judge rules it belongs to Moscow

  • Sergei Pugachev loses latest round of legal battle with Russian government 
  • High Court ruled his £9million Chelsea home is property of Moscow
  • Ex-partner Alexandra Tolstoy and their three children must leave by January 
  • Tycoon was once in Vladimir Putin’s inner circle and part of Russian elite
  • But they fell out after bank collapse and he claims president ‘wants him dead’  

A Russian tycoon once known as ‘Vladimir Putin’s banker’ has been forced to hand over his £9million home after a judge ruled it belonged to the Russian state, meaning his former lover and their children face being made homeless.

Sergei Pugachev, who now claims Moscow want him dead, fought to keep his Chelsea home in the High Court battle which has been going on for four years.
The billionaire was a close ally of the Russian President and helped run his first election campaign, but their relationship has since crumbled.
He moved to London in 2011 and the property was home to his former partner Alexandra Tolstoy, 44, and their three children, who have been told to leave by January.
She previously lived in poverty in a tiny Soviet-era apartment in Moscow with her ex-husband, an Uzbek horseman.
But after meeting Mr Pugachev she experienced the best money could buy including huge properties in Cote d’Azur and the West Indies.
The Russian state has been pursuing him through the High Court claiming he illegally siphoned hundreds of millions of pounds from a government bailout of the Mezhprombank he co-founded.
Mr Pugachev, 55, denies the allegations and claims Moscow is trying to steal £11billion of his assets, including two shipyards and the world’s largest mine.
Mr Pugachev has previously been declared to be in contempt of court, with a two-year prison sentence left hanging over his head should he return to this country.

According to the Guardian, the court made an order compelling him to sell the home on Tuesday.
Mr Pugachev had been due to give evidence via video link but complained of ‘injustice’ after the connection failed.
The paper said he made a statement to the judge apologising for being in contempt of court, claiming he was on an ‘A-list’ of targets for Putin as one of his ‘worst personal enemies’.
Mr Pugachev added he had an ‘unofficial death sentence’ on his head.
He had been living in France for the past three years after being ordered to give up his passports in 2014 and having his assets frozen. He also claims ‘credible attempts’ had been made on his life in the UK.

The tycoon is in another legal battle with Russia in The Hague where he is suing the Federation for £11billion.
He claims he is being targeted because of his knowledge of state secrets.
The Guardian reported his witness statement claimed Putin wanted to buy Chelsea Football club to ‘increase his influence and raise Russia’s profile with ordinary British people’.
But the court ruled his statement ‘did not have anything useful to say’ in his defence.
His former wife Galina has also made a claim in the court over the property stating it is a ‘matrimonial asset’ but a decision has yet to be made.
Lats year the High Court ruled that the £90 million offshore trusts set up by Pugachev to provide for his children with Ms Tolstoy could be seized by the Russian state.
The 43-year-old former television presenter, a distant cousin of Russia author Leo, said it ‘destroyed’ her life, after the ruling also deprived her of a house in St Barts.
Her years with Pugachev have been described as a ‘kaleidoscope of private jets, yachts and the best hotels’.
As well as a large country house near Moscow, Alexandra had a suite in Claridge’s permanently at her disposal.

Speaking about last year’s ruling, she said: ‘I cried for two days when I heard. I lost our house in St Barts. My children are losing their home.
‘I was such a romantic. I’ve taken extraordinary risks in my life. I’ve always been reckless.
‘Until now, it’s paid off. But I was young then and had more energy. And I didn’t have the children.’
She has since described her ex-partner as a ‘tyrannical and paranoid bully’ who, she claims, effectively kept her prisoner in his spectacular homes – which he denies.
Countess Alexandra Tolstoy was just 25 when she first came to the public’s attention after joining a 5,000-mile horseback trek along the entire route of the Silk Road in 1999, just as the former USSR was opening up.
One of her local guides was the Uzbek showjumper Shamil Galimzyanov.
They fell in love in a tent on the Asian steppes and – to the amazement of her friends and family – were married at London’s Russian Orthodox Cathedral in 2003.
Despite her exotic name and family history, Alexandra is a Home Counties English rose, educated at Downe House, a school where the Duchess of Cambridge studied briefly.
But after their marriage fell apart, she started a TV career, presenting Alexandra Tolstoy’s Horse People for BBC2.
She then met Mr Pugachev in 2008 and he whisked her away to a life of yachts, chateaux in the South of France and St Barts.