Cet article avait été conçu pour RBK, mais…

Même si je ne suis plus en Russie depuis six ans, et ne lis pas la presse soviétique, j’ai quelques idées sur la façon dont sont fabriqués ces mensonges.

Pendant longtemps, j’ai été actionnaire du journal « Izvestia » et propriétaire de la Troisième chaine.

Aussi paradoxal que ce soit, l’idéologie et la propagande actuelles ont été développées justement sur la Troisième chaine. C’est et Andrey Pisarev (directeur adjoint de l’idéologie de la Première chaine), et la tête parlante de Petr Tolstov, et Gleb Pianikh avec ses enquêtes « sensationnelles » et beaucoup d’autres personnalités, qui ont fait grandir dans la société russe cette atmosphère de mensonge total, de franche horreur et d’hostilité mutuelle.

Grâce à ma connaissance personnelle de ces personnages, je veux donner mon avis sur le fait que leur niveau de cynisme et leur soif d’enrichissement ne connaissent pas de limite.

Vous savez sans aucun doute mieux que moi, que tout est bon pour faire la propagande du régime, des trésors de l’Eglise aux opposants nus ou aux quelques vétérans encore vivants pour la Fête de la Victoire.

Néanmoins, c’est d’autre chose dont je veux vous parler.

Le directeur adjoint de Rostourisme, Dmitri Amounts a été arrêté le 29 aout 2014.

Beaucoup de gens célèbres ont répondu de lui : Nikita Milkhalkov, le Ministre du tourisme, quatre de ses adjoints, des responsables de département de la Cour des comptes et même un juriste émérite de Russie, des membres éminents du parti Russie Unie, et, attention ( !) le président du comité de la législation constitutionnelle, Vladimir Pligine. Excusez du peu !

Mais, on ne la fait pas au non moins célèbre juge du tribunal Basmany, Arthur Karpov. Il sait pour sûr qui doit aller en prison. Et ne croyez pas que je souhaite paraphraser la célèbre phrase de Gleb Geglov.

Pourquoi un comportement si cruel de la part des partisans ?

Rien de personnel. C’est de la pure politique.

Malheureusement, personne d’autre que Dmitri Amounts ne pouvait être à cette place dans un centre de détention, tout comme les enquêteurs de la commission d’enquête de la Fédération de Russie depuis quatre ans essaient de peindre une affaire pénale de détournement de fonds de milliards de dollars, qui, même pour la Russie actuelle, est impensable.

Depuis ce temps, sept dirigeants de groupes d’enquête, y compris un général de comité d’enquête, ont participé à ce tableau. Mais, un seul a réussi, un inspecteur insignifiant, détaché de sa province, le capitaine Philippe Ivanovitch Rijkov.

Je suppose que le secret de sa réussite se trouve dans son implication dans la vie de la capitale et dans son dévouement inconditionnel, non pas à la loi, bien sûr, mais à la ligne du parti.

Mais même Nikita Mikhalkov ne peut changer la ligne du parti, malgré son charme et son talent.

Cela ne sert à rien de clamer le manque total de justice en Russie, ce qui est, à mon sens, la raison première de tout ce qui se passe dans ce pays.

Je me permets de m’exprimer ainsi car je ne suis pas citoyen russe, mais je reste, comme il est coutume de dire, originaire de l’URSS.

Pendant vingt ans, avec une foi inébranlable dans la formation d’une Russie libre et démocratique, j’ai œuvré pour son bien. Pardonnez-moi cette envolée lyrique.

Je n’ai participé à aucune privatisation de quoi que ce soit, quand que ce soit, je n’ai même pas privatisé mon propre appartement, mais, néanmoins, j’ai réussi, après son effondrement total, à restaurer la construction navale, des sous-marins militaires, qui sont maintenant la fierté de la flotte russe, ont été construits et transformés d’une façon totalement nouvelle ; après un arrêt de trente ans de la construction nationale de brise-glaces, il a été construit le plus gros brise-glace nucléaire au monde et la première station électrique nucléaire flottante. Vingt mille personnes, au minimum, ont trouvé un emploi dans ce domaine dans mes chantiers navals de Saint-Petersbourg, ville dont je suis originaire.

En 1999, le plus grand gisement de charbon à coke au monde a été mis en exploitation à Tuva.

La construction d’un hôtel cinq étoiles sur le Place Rouge est un fait connu, et, à mon sens, devenue le symbole involontaire de la fracture des relations entre le monde des affaires et la politique, comme il se trouve exactement en face du Mausolée et fait partie de l’ensemble des bâtiments du Kremlin de Moscou dans le zone de responsabilité du FSO (Comité Fédéral de la Protection).

Je vous assure que, même à l’aube de la mise en place du capitalisme en Russie et des aspirations aux valeurs occidentales, il était presque impossible d’y croire.

En 2001, ivre de l’espoir d’un futur politiquement libre pour la Russie, j’ai consciemment quitté les affaires pour devenir sénateur. Cette tentative de faire de la politique a assez vite perdu de sa vigueur. Il suffisait de regarder les visages abattus des autres gouverneurs et retraités qui n’attendaient que de finir leur temps dans leurs bureaux où ils ne font que mettre des coups de tampon (c’est habituellement la définition que l’on fait des sénateurs russes).

Ce n’est pas à moi de vous raconter les changements intervenus en Russie pendant ces années.

De 2008 à 2014 a eu lieu une expropriation sévère et sans précédent de tous mes actifs en Russie. Je veux souligner, que pour tout mon patrimoine volé, que j’avais construit de zéro, et qui a été évalué à environ 15 milliards de dollars, l’état ne m’a pas payé un kopeck.

Après 2012, date de ma première plainte à La Haye, dans le but de rétablir la justice, et dès 2013, les collaborateurs de la justice, avec une force incroyable, m’ont accusé d’un délit pénal, dans le but, c’est certain, de « défendre les intérêts nationaux de l’Etat », c’est-à-dire de défendre la propriété dilapidatrice capitaliste.

C’est là où a été utile le talent de ces personnalités des médias, biberonnés dans ma chaine de télévision.

La dilapidation de mes biens a alors été réalisée, sans talent, et ils ont été donnés dans les mains de gens qui n’ont même pas la capacité d’en apprécier la valeur.

Ce n’est pas un secret que suite à l’expropriation a débuté un partage sans précédent de mon patrimoine entre les groupes du Kremlin, accompagné d’une véritable guerre. Il est évident que dans une telle guerre, il n’y a pas de gagnant.  Sans tenir compte de l’enthousiasme avec lequel a été kidnappé un flux de milliards de dollars, une grande partie des gens représentant les intérêts de Setchine, Mantourovsky et autres, se sont avérés soit faire l’objet d’une enquête, soit en prison, y compris un inconnu total qui a été nommé directeur de mes anciens chantiers navals, mais qui avait surement à ce moment l’entière confiance du vice-ministre Setchine.

Pendant toutes ces années, pas un bateau n’a été construit, ni même une petite barque à moteur, dans des usines qui, encore peu de temps auparavant, fonctionnaient à plein régime et en trois huit et dont les salariés méritant recevaient l’ordre du travail.

Le plus grand gisement au monde de charbon à coke, évalué à cinq milliards de dollars, et offert en cadeau par Vladimir Poutine au Président de la Tchetchénie, Ramzan Kadirov, est recouvert d’herbes et est devenu un monument à la folie totale.

En ce qui concerne l’hôtel cinq étoiles sur la Place rouge, chaque moscovite, en se promenant sur la Place rouge (si c’est encore autorisé), peut se rentre compte par lui-même de la situation. Selon une information du Kremlin, à cet endroit se situe un business centre multifonctionnel, sous l’égide des Musées du Kremlin de Moscou. Cela sonne drôle, en absence de business, et en ce qui concerne la multifonctionnalité, cela semble être sorti tout droit des années quatre-vingt-dix, rappelant les échoppes de ces années-là. Vous vous souvenez, c’est comme cela que l’on nommait ces lieux où fleurissaient le vol et le racket.

Pour en revenir à Dmitri Amounts.

Pour être franc, je ne le connaissais presque pas. Nous nous étions croisés quelques fois dans des cérémonies genre remises de prix, organisées par Valéry Guergiev.

Je suppose que, l’un des responsables du groupe d’enquête a joliment dessiné une affaire pénale, ne se représentant même pas qu’un directeur inconnu d’une société de développement immobilier a été, un très court temps, un fonctionnaire de carrière, ayant même des succès dans ce domaine. Le dicton « on ne donne pas les siens » n’a pas marché, car dans les centaines de tomes de l’affaire pénale, emplis de tous les extraits de compte possibles et imaginables, et autres papiers non lus destinés au recyclage, il a occupé la place centrale de directeur de société, qui a obtenu un crédit auprès de la BTB en 2007 et l’a remboursé de bonne foi.

Dans l’affaire, un détail absolument fantastique a été dessiné : l’argent de la société dont il était directeur, Amounts l’a envoyé d’un compte de la société à un autre compte de la société en Suisse. Je souligne encore une fois qu’il a envoyé l’argent de la société sur un des propres comptes de celle-ci. Et c’est l’affabulation des charges. Il n’y a aucun doute que pour une banque suisse, en 2013, cela sonne comme inquiétant avec un air de défi.

Mais je ne doute pas que cette fable aurait été inchangée, même s’il avait viré l’argent à la Sberbank.

Le virement a sa signature, réalisé en 2008, est la réponse à la question, pourquoi personne, à part Amounts. Le fait qu’une grande partie de ces fonds soient revenus en Russie pour développer les affaires, et qu’après l’expropriation de mes actifs, ils aient été cyniquement pillés, ne change rien à la situation.

Je n’ai pas l’espoir que ce post puisse changer le destin tragique de Dimitri Amounts, innocent en prison depuis déjà deux ans, sous pression constante, avec le but de lui arracher des aveux fantastiques sur le fait qu’il est réellement volé 700 millions, sans aucun doute à ma demande.

Ce post est une tentative d’attirer l’attention sur le procès d’un homme absolument innocent qui a commencé le 16 mai au tribunal du quartier de Tverskaya à Moscou.

Je réalise toute la difficulté de cette tâche, en vertu de quelques correspondances, de l’iniquité totale et de la procédure répressive, de l’attention particulière des défenseurs des droits de l’homme dans l’affaire des prévenus des marais et de Nadejda Savchenko, ainsi que l’opinion répandue selon laquelle un fonctionnaire ne peut être que coupable.

Dmitri Amounts est une victime du régime. Il n’est pas un opposant politique au pouvoir, mais à la suite d’un fatal malentendu, à cause duquel il se trouve en prison depuis deux ans, il est devenu un pion jetable dans le soutien au régime de Poutine. « On ne donne pas les siens » est devenu « au cas où, nous et les nôtres sommes sur la sellette ».

Serge Pugachev

Publication originale dans «Les échos de Moscou »