Les avocats de Poutine persistent à réclamer le magot de l’oligarque déchu Sergueï Pougatchev

L’ex-« banquier du Kremlin », installé sur la Côte d’Azur, doit défendre son patrimoine, menacé par diverses actions judiciaires déclenchées depuis Moscou. Une audience se tiendra cet après-midi à Nice.

Au sein du tribunal de Nice, la troisième chambre civile, qui a pu récemment statuer sur une trottinette défectueuse et trancher un différend entre un gérant de bistrot et son bailleur, devra se prononcer ce mardi 17 juin sur une affaire opposant, indirectement, Vladimir Poutine à un ex-oligarque devenu lanceur d’alerte. À la suite d’une assignation déposée en 2016, l’homme d’affaires Sergueï Pougatchev, milliardaire russe devenu citoyen français en 2009, contestera une fois encore la conformité d’un jugement rendu à son encontre par le tribunal de commerce de Moscou le 30 avril 2015 et le condamnant à une sanction de 75 milliards de roubles.

Dans une précédente décision rendue début 2019, le tribunal de Nice avait estimé que le jugement était entaché d’irrégularités, permettant ainsi à Sergueï Pougatchev de conserver la jouissance de son yacht, du sublime château de Gairaut et de ses autres biens, sans toutefois éteindre la procédure. En particulier, il avait été relevé que certaines décisions de la justice russe avaient été prises par un juge unique, alors qu’elles auraient dû être examinées par une composition collégiale. Six ans plus tard, les avocats de la Deposit Insurance Agency, entité publique de droit russe représentant Moscou, plaideront à nouveau la conformité du jugement de 2015. Son exécution entraînerait la chute de l’exilé, qui était surnommé le « banquier du Kremlin » et s’est présenté comme un lanceur d’alerte dans un documentaire diffusé en 2022 sur BFM TV.

Associé à la libéralisation de l’économie russe au temps de Boris Eltsine dans les années 1990, Sergueï Pougatchev a été l’un des artisans de la prise de pouvoir de Vladimir Poutine. L’homme d’affaires s’estime aujourd’hui victime de la vindicte du dirigeant russe, qu’il accuse d’avoir provoqué la faillite de sa banque Mejprombank en 2010, puis d’avoir voulu prendre le contrôle de son grand groupe industriel OPK (Obyedenennaya Promyshlennaya Korporatsiya), comprenant aussi bien des mines et des hôtels de luxe, que des chantiers navals.

Implication personnelle

Sergueï Pougatchev avait mis à profit sa nationalité française pour lancer une procédure arbitrale réclamant 12 milliards de dollars à la Fédération de Russie en réparation de l’expropriation de ses actifs (LL du 20/04/17). L’affaire est toujours en cours devant la Cour permanente d’arbitrage de La Haye. En parallèle, la Fédération de Russie continue d’exiger sa part des actifs mis à l’abri par le millionnaire naturalisé français en 2009. Ce dernier présentera à la justice niçoise une série de documents attestant l’implication personnelle de Vladimir Poutine dans les procédures judiciaires russes. Autre preuve de la vindicte dont il s’estime l’objet pour avoir défié le Kremlin : par un jugement du 13 mai 2025, un tribunal russe l’a condamné à quatorze ans de prison, par contumace. Selon lui, la justice française ne peut exécuter des poursuites politisées, qui ne sauraient être neutres ni impartiales.

Défendu par Laurent Latapie, David Motte-Suraniti et Adrien Verrier, Sergueï Pougatchev attire aussi l’attention du tribunal sur le profil des avocats de la partie adverse. Dans l’affaire jugée à Nice, la partie russe est représentée par Thomas Rouhette et Ela Barda, membres du bureau parisien du cabinet londonien Signature Litigation, ainsi que par Christelle Coslin, du cabinet anglo-saxon Hogan Lovells. Ces deux sociétés ont, par le passé, représenté les intérêts de Mikhail Fridman, Petr Aven et German Kahn, impliqués dans le consortium Alfa Group et réputés proches de Vladimir Poutine. Les trois hommes d’affaires, croit savoir l’ex-oligarque, continueraient de financer les procédures dont il est la cible en France. Saisies en 2022 d’une suspicion de financement illégal par des hommes d’affaires sous sanctions, ni la Direction générale du Trésor, alors dirigée par Emmanuel Moulin, ni Tracfin, ni les douanes n’ont cependant pu corroborer ces doutes.

Daniel Bernard