A « Il n’y a rien de politique dans l’arrestation de Kerimov »

Sergei Pugachev dans le programme « Face à l’évènement » pour Radio « Svoboda »

Elena Rikovtseva : Nice est une ville maudite pour l’entrepreneur et magnat des affaires, Suleyman Kerimov. Vous vous souvenez qu’en 2006, il a eu un terrible accident avec la présentatrice de télévision Tina Kandelaka, il a été très gravement blessé, il a été soigné à Marseille, puis à Bruxelles. Rétabli, il est revenu à la Douma. En 2008, il est entré au Conseil de la Fédération, se sont ses collègues qui s’en souviennent le mieux. Et il s’est passé ce qu’il s’est passé, une nouvelle arrestation, à Nice, ce dont on va discuter aujourd’hui. Dans quelle mesure cette arrestation, et tous les évènements autour de Kerimov, sont liés au plus haut responsable de la Fédération de Russie, nous allons également en discuter. Avec nous, Sergei Ejov, chroniqueur au service des enquêtes de l’hebdomadaire « Sobesednik ». Avec nous également, Ivan Starikov. Yvan sait ce qu’est le Conseil de la Fédération, car il y a passé beaucoup de temps. Il n’y aura pas de surprise, j’ai dit à Yvan avant de prendre l’antenne, qu’il allait maintenant rencontrer Sergei Pugachev.

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Sergei, êtes-vous d’accord avec le point de vue donné aujourd’hui par Dmitri Gudkov, politique russe, que nous allons encore entendre sur nos ondes, que ce coup est un coup porté à l’entourage de Vladimir Poutine, pas l’entourage proche, car il n’est pas un proche de Vladimir Poutine, mais néanmoins l’entourage ?

Sergei Pugachev : Je vous réponds tout de suite, pour ne pas perdre de temps, je ne suis absolument pas d’accord. Simplement il y a ce problème, qu’en Russie, on a depuis longtemps oublié ce qu’est l’indépendance de la justice, qu’est-ce que la justice, c’est le problème russe. Tout le monde est habitué à ce que la sentence soit énoncée par le président Poutine, directement au Kremlin, et ensuite les juges la transpose dans les salles des tribunaux, bruyamment, pour des motifs politiques, ou non, pour des raisons économiques, etc, en commençant par IUKOS. Je vis en France depuis 1994, d’ailleurs, quand la loi est entrée en vigueur, sur le fait qu’il ne fallait pas posséder de patrimoine, j’avais déjà la nationalité française à cette époque, néanmoins, selon la législation russe, il n’y a eu aucune conséquence, je suis donc resté sénateur, tout en ayant la nationalité française ; j’avais également du patrimoine, que je déclarais, que je déclarais directement au Conseil de la Fédération, mais rien ne s’est passé. De plus, je connais très bien le système judiciaire français, car, à l’heure actuelle, j’ai une affaire contre la direction de l’ASV, sur de sérieux motifs : menace de mort, tentative extorsion pour un montant de 350 millions de dollars, ce qui peut aller jusqu’à 20 ans de prison. Je comprends donc parfaitement comment tout cela fonctionne. C’est très simple : il y a un juge d’instruction, qui enquête sur une affaire. Personne ne peut être mis au courant de cette affaire, car il y a le secret de l’instruction en France, et ce n’est pas le secret de l’instruction comme en Russie, où l’enquêteur peut donner des interviews sur le sujet sur lequel il enquête. Donc, vous et moi, nous sommes au courant au moment de l’ouverture de la procédure. L’étape suivante est purement formelle, juridique, c’est quand le juge, si on traduit mot à mot le « juge des libertés et de la détention » à jusqu’à trois jours pour statuer sur la mise en détention. Si, selon la version russe, Suleyman est seulement appréhendé, rien ne va se passer. Il y aura ensuite les arguments des parties et le juge prendra une décision, il décidera s’il s’agit d’une arrestation, ou non, etc. Il est évident qu’il n’y a rien de politique ici, aucun coup envers Poutine, ou la Russie, rien d’approchant. Je suis sûr à mille pour cent que personne n’est au courant, y compris le président de la France, ou même le ministre de la justice ; c’est un juge d’instruction de Nice, une petite ville de 200 mille habitants, qui a pris cette décision. Pour exemple, j’ai noté ce qu’il s’est passé ces derniers temps. La France a jugé le président du Panama deux fois, en 1999, et en 2010, 10 ans de prison. L’ex premier-ministre de la France, Fillon, est actuellement sous le coup d’une enquête du fait qu’il employait sa famille. L’enquête concernant l’ancien président, Sarkozy, est fini, l’affaire a été transmise au tribunal. Gaydamak, parmi les hommes d’affaires russes. A propos de l’affaire Berezovsky, dont il était constamment signalé au bureau du procureur qu’ils s’étaient mis d’accord avec la police française, et le parquet, cela n’avait rien à voir, c’était une histoire simple : lors d’un achat immobilier, Berezovsky a payé une partie du prix à une société offshore. C’est une justice propre, c’est ce dont il faut rêver.

 

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Elena Rikovtseva : Sergei, c’est l’époque des sanctions, il est probable que les sénateurs ne puissent bientôt plus aller là-bas, nous savons quels problèmes personnels rencontre Valentina Matvienko, la présidente du Sénat. Mais alors, dans ces années-là, quand il a fait sa fortune, qu’est ce qui lui a donné le statut de sénateur, après avoir eu celui de député ? Il était membre du comité de la défense à la Douma. Pourquoi a-t-il conservé ces positions au sein du pouvoir législatif ?

 

Sergei Pugachev : Je voudrais commencer par le point suivant : avoir le passeport diplomatique, ce n’est pas avoir le statut de diplomate. C’est simplement un petit livret vert à utiliser à l’intérieur de la Russie. J’ai eu mon premier passeport diplomatique en 1994, et depuis, je l’ai toujours eu, j’ai été homme d’affaires, conseiller du chef de l’administration présidentielle, et ainsi de suite, sous Eltisne et sous Poutine, j’ai toujours eu ce passeport. Ce passeport ne veut rien dire, personne ne l’examine. Avant, on y apposait les visas, et il y avait un accord selon lequel, le propriétaire de ce passeport pouvait rentrer en zone Schengen sans visa, et c’est tout. Il n’a aucun statut diplomatique, ce n’est pas un ambassadeur, ni un président, il n’est rien. Pour l’Ouest, un livret vert, ou rouge, ou jaune, cela ne veut rien dire. Naturellement, la possession d’un statut à l’intérieur de la Russie, pour les hommes d’affaires du niveau de Kerimov, qui fait surement parti du top 50, au moins, ne joue pas le moindre rôle, vous pouvez être sénateur, vous pouvez ne pas être sénateur. C’est plutôt une charge, pour que vous souteniez les régions, etc.  Je l’avais pris car c’était important pour moi car j’avais des affaires dans ma région, et, entre autres, j’ai aidé à trouver dans le budget fédéral des finances pour la région. Pour cela, il n’est absolument pas nécessaire d’aller aux séances du Conseil de la Fédération, je n’y suis pas allé pendant des années, cela ne joue aucun rôle, c’est juste une histoire de statut interne. Pour faire des affaires en Europe, c’est juste drôle, cela n’est pas intéressant, on ne comprend même pas de quoi il s’agit. Globalement, il faut comprendre que, malheureusement, cette espèce de grande histoire qui se passe actuellement en Russie, elle suppose ce genre de petites choses, comme le fait que vous arriviez avec le livret vert, que vous soyez ambassadeur que le MAE a agi, etc. Cela ne joue aucun rôle ! Il s’agit d’un juge d’instruction d’une petite ville de 200 000 habitants qui a ouvert une enquête pénale, et plaise à Dieu, il va engager de bons avocats, sera libéré et sur cela, tout sera terminé. Ceux qui font du business font des erreurs, cela arrive souvent, y compris ne pas payer d’impôts, ou quoi que cela soit, dans différentes parties du monde, surtout les investisseurs internationaux. Cela concerne le Président Trump, je ne parle pas de Poutine, qui ne faisait pas business. D’ailleurs, vous avez dit qu’il avait été décoré en Russie, c’est super ! Pour mémoire, Arkady Gaydamak, qui a fait de la prison en France avait reçu la légion d’honneur. Donc, cette médaille pour services rendus à la Russie, qu’il la garde en souvenir pour lui et ses enfants. Ici, cela n’intéresse personne, personne ne contrôle le juge d’instruction, c’est un juge, ni le président ne peut lui donner des ordres, comme cela se passe en Russie, ni le responsable du comité d’enquête, c’est une figure procédurale totalement indépendante, qui peut prendre toutes les décisions qu’il veut. Maintenant, il va essayer de démontrer qu’il a toutes les raisons pour arrêter Kerimov. Cela va aussi dépendre de est-ce qu’il a, ou non, ces raisons. Le juge, qui va prendre cette décision, c’est aussi un juge d’instruction mais il a une fonction précise, il ne s’occupe que de décider d’une chose, arrêter ou libérer. Si jamais on l’arrête, il y aura un procès, il démontrera son innocence, il sera libéré et on lui compensera même son préjudice. C’est une justice indépendante, et il ne faut rien chercher d’autre. Ce n’est pas la peine de se faire des films. C’est une bêtise soviético-russe de période de transition.

 

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Elena Rikovtseva : Sergei, n’en doutez pas, tout le monde est persuadé du bien-fondé de ces décisions. Mais nous parlons du fait de comment cela va compter, comment cela peut compter. Vous nous avez déjà dit, que vous faites confiance à cette justice, à ce juge d’instruction, mais, d’après ce que je comprends, vous expliquez que nous connaîtrons les détails au tribunal, mais vous comprenez de quoi nous parlons. Comment vous voyez le tableau, qu’est ce qui le lie avec la France, comment peut-on décrire ses relations avec Nice, qu’écrit la presse à son propos, qu’est ce que Kerimov pour la France ?

Sergei Pugachev: N’importe qui, qui achète des biens en France … je l’ai moi-même fait dans les années 90, et une affaire pénale a été initiée contre moi en France, je suis allé en justice et j’ai gagné, à propos de blanchiment, et ainsi de suite. Et, pour que tout soit bien clair, j’ai acheté cette maison pour 700 000 dollars. Mais l’état a eu des doutes. Ils ont assemblé plein de papiers, il y avait différentes versions, y compris que j’avais acheté cette maison pour la famille Eltsine, et non pas pour moi, alors que mes enfants vivaient dans cette maison ! Si nous parlons de comment cela va compter, c’est très simple, il y a un exemple qui parle de lui-même, c’est feu Boris Berezovski, qui a acheté une maison et qui a arrangé le vendeur en en payant une partie offshore. Il y a une loi en France : si vous êtes le vendeur et que vous avez vendu un bien immobilier, et vous avez reçu une partie en liquide, ou on vous a payé en offshore, en ne payant pas d’impôt, et si vous allez voir la police et vous les en informez, vous n’aurez pas de sanction pénale, et vous recouvrez cette somme. Et contre celui qui a fait cela, il y a une affaire pénale d’engagée contre lui et il peut recevoir une peine de 10-15 ans de prison. C’est exactement cette infraction pénale qui a été initiée contre Boris Berezovski. Jusqu’à sa mort, il n’a pas pu venir dans son château en France. Les gens sont habitués à vivre à la russe, mais, ils ne subissent pas les conséquences à la russe, mais à l’européenne. C’est ce qui s’appelle « aller dans un autre monastère avec ses propres évangiles » ! Si vous venez, ne contrevenez pas aux lois ici et tout ira bien. Ce n’est absolument pas un message pour Poutine, c’est un message pour tous : s’il vous plait, ne violez pas les lois, en France, en Europe, en Allemagne, aux Etats-Unis. Ce sont des infractions pénales très lourdes. Le tribunal va le faire tomber pour blanchiment, ou quoi que ce soit, pour 20 ans, et il va essayer de s’en sortir pendant toute sa vie, plutôt que de se consacrer à ses affaires. C’est probablement un de ses conseils qui lui a conseillé un schéma pareil. Je suis sûr qu’il n’est pas au courant de ces broutilles, quel schéma de paiement quand il achète une maison, il ne s’occupe pas de cela.

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