Un banquier russe, en procès avec le Kremlin, perd son hôtel particulier à Londres estimé à plus de 9 millions de livres

Le tribunal vient d’attribuer la propriété de l’hôtel particulier de Sergueï Pougatchev aux créanciers étatiques. De son côté, le banquier a déclaré que Poutine cherche à l’assassiner.

Par Luke Harding

Le mardi 23 octobre 2018

Le banquier russe, qui prétend que Vladimir Poutine essaie de le faire assassiner, se voit contraint de vendre son hôtel particulier de Londres, à l’issue un jugement déclarant que la propriété évaluée à plusieurs millions de livres sterling appartient aux créanciers étatiques à Moscou.

Sergueï Pougatchev, jadis un proche de Poutine, mais devenu aujourd’hui son pire ennemi, s’est opposé à la mise en vente de son ancienne résidence à Chelsea. Son ex-compagne, Alexandra Tolstoy et leur trois enfants mineurs, qui vivent dans la maison, devront donc vider les lieux avant janvier.

Pougatchev est enlisé depuis quatre ans dans une lutte avec le gouvernement russe, dont il a lui-même été un membre privilégié. Il avait co-dirigé la première campagne électorale de Poutine, mais à partir de 2011 ses relations avec le président russe se sont détériorées. Pougatchev est parti vivre à Londres.

Aujourd’hui l’Agence russe de garantie des dépôts, “ASV”, accuse Pougatchev d’avoir détourné des centaines de millions de dollars des comptes de Mezhprombank: une banque dont il a été le co-fondateur dans les années 1990, et qui venait de recevoir un prêt de sauvetage de l’Etat. ASV a engagé des poursuites résolues devant la Haute Cour de Londres, mais Pougatchev maintient que les accusations portées contre lui sont absurdes.

Il dit avoir été victime d’une tentative de spoliation éhontée par Etat russe, qui a exproprié des avoirs estimés à plus de 15 milliards de dollars: deux chantiers navals, le plus grand gisement de charbon au monde et des projets de développement immobilier à Moscou et Saint-Pétersbourg.

En 2014 ASV a réussi à obtenir une ordonnance de gel d’avoirs contre l’empire de Pougatchev, qui a des ramifications dans le monde entier. Sommé de rendre ses passeports, Pougatchev a néanmoins réussi à fuir l’Angleterre et à se réfugier en France, dont il a la nationalité. Depuis l’été 2015 il vit à Nice.

Lors d’une audience au tribunal de commerce, le juge Price a rendu un jugement ordonnant la vente de l’hôtel particulier de Pougatchev à Londres, dont la valeur est estimée à 8,9 millions de livres sterling. Pougatchev était sensé témoigner en sa défense par visioconférence, mais la connection n’a pas pu être établie, ce qui l’a contraint à s’adresser au tribunal par courriel. Dans ses conclusions il affirme avoir été victime d’une injustice.

Dans ces conclusions Sergueï Pougatchev a présenté ses excuses à la cour pour outrage au tribunal. Il a déclaré qu’il avait dû se réfugier en France pour avoir été visé à Londres par des tentatives d’assassinat. Il a prétendu figurer en tête de la liste des “personnes à abattre” qui sont des “ennemis personnels de Poutine”, “officieusement condamnés à mort”.

D’après Pougatchev, il a pour voisins sur cette liste le leader de l’opposition Alekseï Navalny et l’homme d’affaires et défenseur des droits de l’homme Bill Browder.

Pougatchev a également dit que l’empoisonnement au “Novitchok” de l’ancien espion Sergueï Skripal à Salisbury, supposément exécuté par deux membres des services secrets russes, l’ont conforté dans l’idée que “ses craintes étaient justifiées”.

Entre-temps Pougatchev a saisi la Cour Internationale de La Haye. Il attaque la Fédération de Russie, à qui il réclame 15 milliards de dollars.

Il a déclaré que ses créanciers, qui sont la Banque Centrale de Russie et deux corporations industrielles majeures, “appartiennent à Poutine ou se trouvent sous son contrôle direct”. Il a dit mener une “lutte épuisante” contre l’Etat russe.

L’ex-milliardaire se dit persécuté parce qu’il est au courant de nombreux secrets du Kremlin, et qu’il possède “des documents et des enregistrements”. Il a affirmé que le régime russe avait pris  racine au plus profond de nombreux pays occidentaux, y compris le Royaume-Uni, qui accueille aujourd’hui plus de 300 000 Russes.

“Poutine m’a personnellement parlé de son plan d’acquérir le club de football de Chelsea, afin d’accroître son influence et d’améliorer l’image de la Russie, non seulement auprès des élites, mais aussi auprès des citoyens britanniques ordinaires”, dixit Pougatchev dans sa déclaration au tribunal. Cette décision, Poutine l’aurait prise à l’issue de sa première rencontre avec Tony Blair, le premier ministre britannique de l’époque.

Le juge a dit avoir lu la déclaration de Pougatchev. “Le mémoire ne contient rien d’utile au regard de la défense dans la présente affaire”, a déclaré Price. D’après lui, Pougatchev essaie de contredire une ordonnance sur les frais, rendue au cours d’une audience précédente par un autre juge: une stratégie “qui va dans le mur”.

L’ex-compagne de Pougatchev a déclaré au tribunal élever leurs enfants seule. Alexandra Tolstoy a également dit que depuis trois ans Pougatchev ne lui verse pas de pension alimentaire: “Leur père ne m’aide pas”, a-t-elle dit.

Les avocats de l’ex-femme de Sergueï Pougatchev, Galina, ont annoncé qu’elle envisageait de faire valoir ses droits sur l’hôtel particulier de Glebe Place, qui fait partie, d’après elle, de la communauté de biens. Sa requête sera jugée ultérieurement.

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